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les contrefaçons mécaniques de la réalité et les prédilections que lui inspire toute œuvre empreinte de vérité individuelle. « Quand on moule sur nature, dit-il quelque part, on obtient le calque de la réalité. Quand l’artiste moule avec son cerveau, c’est à l’expression de la vérité qu’il fait appel. »

Ces simples paroles définissent toute la poétique du maître et les qualités principales de son talent. Dans ses œuvres comme dans les enseignemens qu’il donnait à ses élèves, David ne faisait que proclamer la prééminence du vrai sur le réel, de l’image sur l’effigie. Aussi, toutes les fois que la tâche lui est confiée d’élever au milieu d’une place publique ou dans l’intérieur d’un monument la statue de quelque homme célèbre apporte-t-il autant de zèle à rendre celui-ci reconnaissable par des traits empruntés à sa vie morale qu’à reproduire avec vraisemblance les apparences de sa vie physique, les formes de son visage ou de son corps.

Veut-il par exemple personnifier dans Cuvier le génie de la paléontologie et les grandes découvertes auxquelles il a initié notre siècle ? Il représentera l’illustre savant les doigts plongés dans les entrailles de la terre, comme pour y arracher avec les ossemens qui y sont ensevelis le secret des générations primitives. A-t-il à rappeler la nature des travaux accomplis et des vérités scientifiques divulguées par « Bichat ? Il nous montrera l’auteur des Recherches sur la vie et sur la mort scrutant d’une main déjà armée de la plume la vie dont il va décrire les lois et qui palpite sous les grâces d’un corps adolescent, tandis qu’un cadavre étendu à ses pieds lui livre les phénomènes de la destruction et lui en explique les mystères. Doit-il enfin caractériser l’influence exercée sur le monde par l’invention de Gutenberg, célébrer l’héroïsme de Condé ou la mansuétude évangélique de Fénelon, les austères vertus de Drouot ou la poétique imagination de Bernardin de Saint-Pierre, — David trouvera, pour consacrer chacun de ces souvenirs, des modes d’expression différens, des formules ingénieuses sans affectation, et surtout sans arrière-pensée d’un ordre trop littéraire. C’est en subordonnant aux moyens particuliers de son art les intentions qu’il lui faut traduire, c’est en envisageant son sujet au point de vue de la sculpture et avec le sentiment d’un sculpteur, que David conçoit chaque composition et qu’il en combine les élémens. Reste à savoir si dans l’exécution même il réussit à se préserver aussi bien des écarts, et si, tout en se gardant d’usurper sur le domaine des écrivains ou des poètes, il s’abstient toujours avec la même prudence d’envahir celui des peintres.

On trouverait une réponse à cette question, et une réponse négative, dans beaucoup d’ouvrages de David, dans plusieurs de