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montrer l’habileté d’un statuaire dans un ordre de travaux qui avait paru jusqu’alors exiger impérieusement la solennité du style et la grandeur des proportions ; il a bien souvent reproduit ses modèles par des procédés et dans des dimensions qui permettaient à ses ouvrages d’être placés en tous lieux ou de circuler de main en main. C’est cette appropriation de la sculpture à certaines exigences de notre temps, c’est ce caractère de familiarité qui distingue des entreprises antérieures celle que David a tentée avec un incontestable succès ; mais il ne s’ensuit pas qu’on doive nécessairement saluer en lui le créateur d’un « art national. » Si la riche série de ses œuvres intéresse à bon droit notre fierté patriotique, elle n’engage pas pour cela notre reconnaissance envers l’artiste au point de nous faire porter entièrement à son compte ce qui dépend, au moins en partie, des souvenirs historiques qu’il éveille ou des modèles qu’il a choisis.

Il faut bien le dire d’ailleurs, la galerie où David a rassemblé pour les proposer à nos respects tant de personnages appartenant aux diverses époques de notre histoire, ce panthéon français qui n’aurait dû s’ouvrir qu’à des hôtes dignes d’y figurer, ne semble pas toujours à l’abri des encombremens de rencontre, et ne laisse point par momens d’être assez capricieusement peuplé. Les médaillons surtout modelés par David permettraient, quant à la valeur même des personnages qu’ils représentent ou à la nature des souvenirs qu’ils consacrent, de relever plus d’une anomalie et de désapprouver plus d’un choix. Ses œuvres en ce genre révèlent le mieux peut-être la force et l’originalité de son talent ; mais ne sont-ce pas aussi celles où les inspirations de l’artiste se ressentent le plus de ses préoccupations politiques et se montrent le moins étrangères aux influences de l’esprit de parti ?

David a eu toute sa vie la volonté de rester fidèle à la tradition révolutionnaire et à la mémoire des hommes qui l’avaient fondée. Il y avait là d’ailleurs pour lui autre chose qu’un pur entraînement de l’imagination ; il y avait le souvenir d’impressions reçues presque dès le berceau, de dures épreuves personnelles dont il se croyait le devoir ou le pouvoir de préserver les générations à venir. L’époque et le milieu où David était né, la misère qu’avait connue son enfance, la guerre de Vendée qu’il avait vue de près en suivant jusque sur les champs de bataille son père, soldat de la république, — tout contribue à expliquer le zèle d’opposition politique dont il fut animé à l’âge d’homme et les rêves d’égalité sociale qu’il caressa jusqu’à la fin : rêves d’un cœur généreux après tout, sinon d’un esprit très pratique, et qu’un autre éminent sculpteur, François Rude, devait de son côté poursuivre avec la même obstination ingénue, on dirait presque avec la même bonhomie.