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le rite romain au rite parisien ou lyonnais, Pie IX portait un dernier coup aux traditions de l’église gallicane, en y effaçant dans leurs traces les plus inoffensives tout vestige de vie locale. Peu soucieux de maintenir la variété dans l’unité, le saint-père supprimait dans la plus grande partie de ses vastes états toute différence de rituel, d’usages, de cérémonial, pour n’avoir à ses pieds qu’un troupeau uniforme dans son culte comme dans sa foi.

En cela, Pie IX obéissait aux instincts niveleurs de la centralisation papale ; mais il faisait autre chose encore, il restaurait au nord des Alpes le surnaturel, il réhabilitait le légendaire. L’église gallicane des deux derniers siècles s’était permis de limiter le champ du merveilleux chrétien, de trier les légendes des saints, d’en éliminer les miracles les plus bizarres. Selon le mot d’un écrivain ecclésiastique[1], le neveu de Bossuet avait à Troyes châtré la liturgie. Or tout ce que nos évêques ou nos bénédictins des derniers siècles avaient rejeté comme trop mal établi ou trop puéril est rentré dans le bréviaire et dans l’office, sous le couvert de la liturgie romaine. Le domaine du merveilleux, jadis rétréci ou borné par le clergé français, s’est de nouveau démesurément élargi. Ce n’était pas là seulement le triomphe du romantisme religieux. Aux yeux de l’ultramontanisme, l’église gallicane des XVIIe et XVIIIe siècles était suspecte de penchans rationalistes ; en épurant la liturgie, elle avait voulu faire la part de l’incrédulité et de la critique, comme dans un incendie on fait la part du feu[2]. C’était là une faiblesse coupable ; en la tolérant plus longtemps, le saint-siège s’en fût rendu complice. Il appartenait à Pie IX de couper court à de tels compromis.

Sous le règne de Pie IX, l’arbre du merveilleux, jadis élagué par la serpe gallicane et taillé à la mode du XVIIIe siècle, s’est de nouveau librement épanoui, et jamais les branches n’en ont été plus touffues, les fleurs plus éclatantes, les parfums aussi capiteux. L’atmosphère de la piété catholique est tout imprégnée de ces senteurs enivrantes. Les visions, les prodiges, les légendes, les prophéties du moyen âge ont de nouveau ébloui les yeux ou charmé les oreilles des fidèles. Lourdes, la Salette et tous les récens pèlerinages nous ont fait assister à une recrudescence du merveilleux. En même temps renaissait ou s’introduisait parmi le clergé et les fidèles le goût des petites dévotions et des pratiques minutieuses, avec tous les raffinemens d’une piété affadie qui demandait à la religion une saveur plus relevée. Pie IX avait l’âme tendre, avide d’émotions, ouverte

  1. Mgr Guérin : les petits Bollandistes, introduction.
  2. Voyez à cet égard l’Année liturgique de dom Guéranger, abbé de Solesmes.