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Pie IX devait être un grand pape ; avant d’être un convocateur de conciles et un proclamateur de dogmes, il tenta d’être un grand prince, il rêva d’être un réformateur civil, un initiateur national.

Et ce n’était là ni ambition mondaine ni naïf entraînement d’un noble cœur. Cette gloire du prince et du réformateur, Pie IX ne la convoitait que pour en faire honneur à la papauté. C’était une couronne neuve dont il voulait, aux yeux de l’Italie et du monde, rehausser la vieille tiare romaine. Ces premiers actes du généreux pontife partaient de la même impulsion que les résolutions les plus opposées de son règne. Dans ses réformes civiles, dans ses velléités italiennes, Pie IX obéissait au même mobile que plus tard dans ses attaques contre l’Italie, dans sa condamnation du libéralisme. Ce qu’il avait en vue, c’était la glorification de la chaire de saint Pierre.

C’était en effet un grand rôle qui semblait s’offrir à la papauté vers 1848, un rôle auquel l’appelaient depuis longtemps les souffrances et les prières de l’Italie, et qui était digne de tenter Rome. Un pape libéral, devenant le promoteur de l’indépendance italienne et le chef reconnu des princes et des peuples de la péninsule, c’était l’espoir de tous ceux qui, au sud des Alpes, souhaitaient passionnément de concilier le patriotisme et la religion ; c’était la vieille idée guelfe, alors rajeunie et prêchée par une école nombreuse, éloquente, influente. Si Pie IX n’a jamais adopté toutes les brillantes visions de Gioberti et des néo-guelfes, il en a certainement subi le charme. Par son attitude et ses paroles, il a fomenté dans la nation cette noble chimère, il lui a fait prendre corps. Comment du reste s’étonner qu’à un certain moment un pape ait vaguement caressé ces beaux songes qui, en tirant la papauté de l’effacement politique où elle languissait depuis plus de deux siècles, ouvraient devant elle de magnifiques perspectives de puissance et de popularité ? C’était sur cette route, depuis si longtemps abandonnée, que l’église romaine, alliée aux communes lombardes, avait aux jours des Alexandre III et des Innocent III remporté ses plus beaux triomphes. La papauté ne pouvait-elle donc plus s’appuyer sur les peuples, s’affranchir de la pesante tutelle des gouvernemens égoïstes et d’une trompeuse diplomatie ? Ne pouvait-elle conquérir le respect et l’admiration de toutes les Dations civilisées en méritant l’amour et la gratitude de l’Italie ? Si c’était là pour le saint-siège la voie la plus dangereuse, c’était assurément la plus glorieuse. Contrairement à toutes les apparences, on eût même pu dire que, pour la royauté pontificale, cette voie semée de périls était la seule voie de salut. La politique téméraire que Pie IX s’est depuis tant reprochée était en réalité pour les papes la seule chance de sauver