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simple et familière, lui donnaient quelque chose de souverain et de paternel, d’imposant et de séduisant à la fois. Peu de papes ont possédé à un tel degré les qualités extérieures de ce rôle de pape, devenu plus que jamais un rôle de représentation. Ce n’est point que Pie IX gardât toujours la solennité du pontife à l’autel, ou affectât la raideur d’une icône byzantine ; chez lui, tout était naturel et spontané : on sentait l’homme sous le pape, jamais l’acteur et le personnage. D’une nature vive et impressionnable, d’un esprit prompt et mordant, il lui échappait parfois des saillies dont sa bonté n’émoussait pas toujours la pointe. C’était la seule façon dont il manquât à son métier de pape. Deux choses frappaient surtout en lui, un œil brillant et pénétrant, tour à tour scintillant d’éclairs et humide de larmes, une voix ample, vibrante, fortement timbrée, qui remplissait les arcades de Saint-Pierre et résonnait jusqu’aux extrémités de l’immense place vaticane. Cette voix, il aimait à la faire entendre aux pèlerins de tous pays, non-seulement dans les bénédictions solennelles et les paroles du rituel, mais dans des discours et des improvisations où la conviction, l’indignation, la passion lui donnaient une éloquence émue et véhémente. Des pèlerinages au Vatican, il avait fait un nouveau mode d’action pour le saint-siège ; il s’était ainsi dans sa vieillesse attribué un rôle nouveau, qu’il a rempli jusqu’à la fin avec une énergie admirable, prodiguant à tous sa parole, ne se laissant arrêter ni par l’âge, ni par la maladie, faisant taire ses souffrances et ramassant ses forces défaillantes pour la scène où il paraissait en maître des âmes.

Pie IX a été à la fois le Louis XIV et le Louis XVI de la papauté : une même année l’avait officiellement revêtu de l’infaillibilité et dépouillé de la souveraineté terrestre. Ce contraste de succès et de revers, ce mélange de victoires inouïes et de défaites irréparables, lui avait donné le double prestige de la grandeur et de l’infortune, qui dans sa personne se tempéraient et s’ennoblissaient l’une par l’autre. La chute du trône papal a été le tourment, la croix de ce pontificat à tant d’égards si heureux, crux de cruce, dit la prophétie de Malachie[1]. Pie IX devait cependant beaucoup à cette spoliation, il lui devait l’amour passionné et les ovations enthousiastes de ses enfans, il lui devait ce que n’eût pu lui donner l’éblouissante auréole de l’infaillibilité. Sur le front de ce triomphateur spirituel, de ce dominateur des consciences, la déchéance temporelle avait mis quelque chose du charme mélancolique des rois tombés et des héros persécutés. Aux yeux des fidèles, à ses propres yeux, Pie IX

  1. La croix par la croix. On a vu là une allusion à la croix de la maison de Savoie.