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grande entreprise de l’Encyclopédie ; Rousseau suivit avec ses deux célèbres discours.

Voltaire était alors à Berlin, donnant la dernière main à son Siècle de Louis XIV, plus occupé d’éloigner D’Arnaud de la cour de Potsdam ou de faire jouer à Paris Rome sauvée que de travailler à détruire la superstition. C’est à peine s’il écrivit des Délices quelques brochures, plus inquiet de recouvrer les bonnes grâces de Mme de Pompadour et d’achever la ruine de La Beaumelle et de Fréron que de « jeter les semences » de cette révolution et que de préparer « ce beau tapage » dont il parle dans une lettre demeurée justement fameuse. Les philosophes ne furent pas les ouvriers de la révolution. Ils en hâtèrent l’explosion, ils en étendirent la portée, peut-être même, en parlant aux hommes de leurs droits sans jamais parler de leurs devoirs, contribuèrent-ils à donner aux événemens ce caractère de violence et de brutalité sauvage qui devait déshonorer la révolution, pourtant ils ne firent que suivre le mouvement, ils ne le donnèrent pas. Mais Voltaire fut le dernier d’entre tous à prendre enfin son parti. Quand il vit que toutes les ressources conjurées de l’ancien régime ne prévaudraient pas contre l’impulsion révolutionnaire, quand il comprit qu’à vouloir s’opposer au torrent il perdrait sa popularité, mais surtout quand il trembla que Rousseau, « ce garçon horloger, » ne lui ravît cette royauté littéraire dont il avait jeté les fondemens, il entra dans la mêlée. Le Sermon des cinquante et le Testament du curé Meslier sont les deux premières brochures où Voltaire, selon l’expression de Condorcet, « attaqua de front la religion chrétienne, à laquelle jusqu’alors il n’avait porté que des attaques indirectes. » On ne saurait souhaiter à Voltaire un plus maladroit ami que Condorcet : c’est lui qui nous avertit en effet que le Sermon des cinquante fut une réponse de Voltaire à la Profession de foi du vicaire savoyard. Le succès de l’Emile importunait Voltaire : moins jaloux de toute renommée, peut-être eût-il encore attendu, car, parmi tous les philosophes, le seul qui n’eût rien à risquer était le plus timide. Tandis qu’on jetait Diderot à la Bastille, et que Jean-Jacques, décrété de prise de corps, fuyait vers la frontière, le châtelain de Ferney donnait la comédie sur son théâtre, bâclait en huit jours quelque rapsodie tragique pour se ménager un « alibi nécessaire, » et lançait des brochures anonymes qu’il désavouait effrontément à la moindre apparence de danger.

Le Sermon des cinquante et le Testament du curé Meslier marquent dans l’histoire de Voltaire la dernière transformation de l’incomparable comédien. Le voilà désormais enrôlé dans la bande encyclopédique, et pendant près de vingt ans désormais vont partir de Ferney ces innombrables pamphlets dont la seule énumération