Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/361

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus grands, par la mobilité du génie, la diversité des œuvres et surtout l’étendue d’influence exercée sur son temps !

Toutefois il n’est peut-être besoin d’y regarder ni longtemps ni de très près pour soupçonner que cette grande activité n’a pas été véritablement féconde, ni même cette influence aussi souveraine qu’on le croirait d’abord. Sous tant de formes changeantes, et sous tant d’aspects multipliés, il n’est toujours qu’un seul Voltaire en scène. C’est comme un premier moment de surprise, d’éblouissement, d’illusion. Vingt personnages : un Newton, un Corneille, un Thucydide, un Catulle, selon le mot de Frédéric, ajoutons un homme du monde et presque un grand seigneur, un bel esprit de ruelles et de salons, un courtisan, un diplomate, un homme d’affaires, un journaliste, que sais-je encore ? un fabricant de bas de soie et de montres de Genève, un fondateur de villes, passent tour à tour sous nos yeux, mais,

… Variæ eludant species atque ora…


Ce sont autant d’ingénieux déguisemens qu’avec une incomparable prestesse le même acteur a revêtus tour à tour, non pas certes par amour de son art, ni surtout pour son plaisir, mais pour entendre retentir à son oreille le murmure des approbations mondaines et le tumulte des applaudissemens populaires, pour obéir à l’opinion de son siècle et parvenir à la dominer enfin à force de l’avoir flattée.

La société plus que libertine du Temple ou la cour licencieuse du régent ne demandent qu’un poète lauréat, comme on dirait en Angleterre, ou, comme dit le régent, « un ministre au département des niaiseries ? » trop heureux de racheter à ce prix ses premières incartades, le fils du bonhomme Arouet se présente et fait son entrée dans le grand monde par cette porte basse. Un public parisien, le plus amoureux du théâtre qu’il y ait eu peut-être dans l’histoire d’aucune littérature, cherche un poète favori qui remette en honneur l’antique tragédie tombée de Pradon en Campistron et de Campistron en Lamotte ? l’auteur d’Œdipe entre en lice et fait valoir bruyamment ses titres à l’héritage vacant. Les derniers tenans d’une vieille querelle se lamentent et déplorent qu’à l’éternel Homère des anciens les modernes ne puissent opposer un seul poète épique ? Voltaire compose la Henriade, sans négliger ce soin nécessaire d’en démontrer les beautés au lecteur français dans son Essai sur le poème épique. Les gens du monde et les femmes de cour se plaignent de ne pouvoir supporter la lecture de l’histoire dans les lourds in-folio de Scipion Dupleix ou de Mézeray ? l’Histoire de Charles XII paraît, qu’on se dispute comme un roman, bientôt suivie de l’Essai sur les mœurs. Le goût de la science et de