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la vie, essaient de l’améliorer sinon pour eux-mêmes, du moins pour les autres et pour ceux qui viendront après eux ; qui agissent comme si leurs œuvres devaient avoir des suites, s’efforçant d’agir le mieux possible, persuadés que les résultats de l’action bonne ne seront pas anéantis et deviendront une semence d’actions meilleures encore et des germes de progrès ; qui espèrent que rien ne s’anéantit dans le monde moral pas plus que dans le monde physique, et que chacun de nous peut être considéré, pour sa part, comme l’humble architecte de ce monde moral qui grandit toujours ; ceux enfin qui croient que l’idéal qui règle le mouvement de leur pensée n’est pas seulement une belle chimère, et que cette force mystérieuse n’agit si profondément sur la conscience et le cœur de l’humanité que parce qu’elle émane d’un principe vivant d’ordre et d’harmonie qu’ils pressentent sous les nuages de la vie, qu’ils recherchent dans les profondeurs voilées de l’univers comme dans la marche mystérieuse de l’histoire. — Il y a ainsi deux sortes de résignations bien différentes : celle qui nie le progrès et la réalité de l’idéal, proclamant la souveraineté de la force et du hasard dans toutes les régions de l’être, et il y a la résignation virile à la vie parce qu’elle peut être améliorée, à l’action parce qu’elle peut être féconde, à la moralité et au progrès parce que l’humanité comme l’univers doit avoir une fin divine. Est-ce le désespoir et la mort qui ont raison ? Est-ce la vie et l’espérance ?

M. de Hartmann raille quelque part, avec une verve implacable, la vanité de ces espoirs et proclame bien haut l’indifférence souveraine de la philosophie à l’égard de la plainte humaine. Nous résumons cette page hautaine : La philosophie, nous dit-il, ne doit à l’homme ni une consolation, ni une espérance : de tels besoins trouvent leur satisfaction dans les manuels de piété. La philosophie n’a pas à se préoccuper de savoir si ce qu’elle trouve plaît ou non au jugement sentimental des foules instinctives. Elle est dure et insensible comme la pierre. Elle ne vit que dans l’éther de la pure pensée, et ne poursuit que la froide connaissance de ce qui est, des causes et de l’essence des choses. Si l’homme n’est pas assez fort pour supporter ce régime de la pensée pure, si son cœur se glace d’horreur ou se brise de désespoir devant la vérité entrevue, si sa volonté se dissout dans le découragement, la philosophie enregistre ces faits comme des données précieuses pour ses recherches psychologiques. Elle n’observe pas avec moins d’intérêt les dispositions plus énergiques et toutes contraires avec lesquelles d’autres âmes acceptent la vérité : soit l’indignation et la colère qui font grincer des dents, soit la rage froide et contenue qu’inspire le carnaval insensé de la vie, soit la fureur méphistophélique qui se