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soi-même dans le miroir de la conscience comme la fin raisonnable, la fin absolue de son être ? N’y a-t-il pas assez de souffrances dans la réalité ? Est-il nécessaire de les reproduire encore comme dans une lanterne magique ? Non, la conscience ne peut être la fin suprême d’un monde dont l’évolution est dirigée par la haute sagesse de l’Inconscient. » Il faut donc chercher ailleurs une fin absolue dont le développement de la conscience soit seulement le moyen.

Cette fin ne peut être que le bonheur ; nous y voici encore une fois fatalement ramenés. On a beau retourner la question dans tous les sens : il n’y a pas un autre principe auquel un prix absolu puisse être attribué, que nous puissions considérer comme fin en soi, rien qui touche si profondément la nature propre, l’essence interne du monde. Tout ce qui vit tend au bonheur ; c’est sur ce principe que reposent, malgré leurs formes diverses, tous les systèmes de philosophie pratique. L’aspiration au bonheur est l’essence même de la volonté qui cherche à se satisfaire. — Mais quoi ! le bonheur n’a-t-il pas été déjà déclaré impossible ? Le pessimisme n’a-t-il pas démontré que ce désir est insensé, que tout n’est qu’illusion, déception, souffrance dans cette recherche, que le développement progressif de la conscience n’aboutit qu’à un résultat négatif et à une conclusion triste, la folie du désir du bonheur ? — Ici se révèle l’antinomie : d’une part, le seul développement réel qui soit sensible dans le monde est celui de la conscience ; d’autre part, ce développement de la conscience n’est pas une fin par lui-même, il en exige une autre ; cette fin absolue ne peut être conçue en dehors du bonheur ; le bonheur est la seule chose qui représente la force d’un motif et la réalité d’une fin. — Mais il ne peut y avoir de bonheur sous aucune forme réelle ni même possible de l’existence ; c’est un point sur lequel le pessimisme ne souffre pas de contradiction. Quelle sera donc la solution de cette antinomie qui pose le bonheur à la fois comme nécessaire et comme impossible ? La solution est fort simple en soi, bien qu’inattendue : il ne peut y avoir de bonheur positif, et pourtant le bonheur est nécessaire ; donc il peut et il doit y avoir un bonheur négatif absolu, qui est précisément la négation même de l’être, l’anéantissement total ; le meilleur état qui se puisse atteindre, c’est l’absence de toute souffrance, la plus haute félicité est de ne pas être. Le bonheur tout négatif de cesser d’être, voilà le but suprême, la seule fin logique des choses, l’explication du processus universel, la formule souveraine de la délivrance. — Or il n’est pas douteux que ce triomphe de l’idée sur le vouloir-vivre ne s’accomplisse tôt ou tard. En dehors de cette solution, il n’y aurait rien qu’une évolution sans fin, un processus que la nécessité ou le hasard viendrait