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savons, s’écrie Schopenhauer imitant saint Paul[1], que toute créature soupire comme nous après sa délivrance, et que c’est de nous qu’elle attend sa délivrance, de nous qui sommes les premiers nés de l’esprit[2]. » — « Oui, répète Hartmann avec un sombre enthousiasme, nous sommes dans le monde comme les fils préférés de l’esprit, et nous devons combattre vaillamment. Que la victoire trahisse nos efforts, nous n’aurons rien du moins à nous reprocher. C’est seulement si nous étions faits pour vaincre et si nous perdions la victoire par notre lâcheté, c’est alors que nous tous, c’est-à-dire l’être du monde qui vit en nous, serions directement punis par nous-mêmes et condamnés à supporter plus longtemps le tourment de l’existence. En avant donc, travaillons au progrès universel, comme les ouvriers de la vigne du Seigneur[3]. » On le voit, c’est sur un ton religieux que ces philosophes exhortent les volontés hésitantes, les encouragent à se dépouiller de toutes les formes de l’égoïsme, qui n’est que la perversité obstinée à vivre contre son propre intérêt, contre l’intérêt du monde entier ; c’est au chant des cantiques et des hymnes pessimistes qu’on mène le grand combat de la mort contre la vie, de la mort volontaire et universelle contre le mal universel et la fatalité de l’existence.


I

Essayons de nous rendre compte, d’après ces théories nouvelles, de l’évolution du monde et du but qu’elle poursuit. Le pessimisme, à ce que l’on nous assure, seul a pu saisir cette fin absolue des choses à la lumière toujours grandissante de son principe, avec le merveilleux instrument de sa logique, implacable à tous les préjugés, indifférente à toutes les réclamations du sens individuel, sourde aux protestations et aux révoltes de l’instinct. La lecture attentive d’un chapitre de l’ouvrage de M. de Hartmann[4] nous mettra à même de résoudre cette grave question, d’où dépend celle de la délivrance du monde.

Il y a un but suprême à l’évolution de l’univers. C’est un axiome posé plutôt qu’un principe démontré par M. de Hartmann, que la série des fins ne saurait être infinie, que chaque fin, dans la série, n’est par rapport à la suivante qu’un moyen, qu’il faut de toute nécessité qu’il y ait une fin dernière ou suprême, à laquelle soient suspendues toutes les fins intermédiaires. Acceptons l’axiome pour

  1. it mains, VIII.
  2. Le Monde considéré comme volonté et représentation, 3e édition, I, p. 450.
  3. Philosophie de l’inconscient, II, p. 496, traduction de M. Nolen.
  4. Le XIVe de la troisième partie.