Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/326

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

stratégiques indispensables à la défense de Paris pouvez-vous faire occuper ? — L’un des deux, je ne sais lequel. — Mais, monsieur le président, reprit le comte de Turenne avec une insistance justifiée, il faut cependant que l’amiral le sache, sans cela il ne peut agir. — Les maires ont plein pouvoir, qu’il les consulte. — Mais la décision ne dépend que de vous, je ne puis retourner près de l’amiral sans savoir s’il peut s’appuyer sur Levallois ou sur Passy. — « Dites-lui que je ferai de mon mieux, que diable ! je ne suis pas sur un lit de roses ! » Sur de nouvelles observations vivement développées par M. de Turenne, M. Thiers s’engagea enfin à faire occuper un des deux points désignés, mais se refusa absolument à indiquer celui vers lequel il dirigerait une action militaire.

M. de Turenne rentra à Paris vers onze heures du soir et rendit compte de sa mission à l’amiral Saisset. On attendit avec quelque impatience le résultat des promesses de M. Thiers, et l’on se prépara à donner la main aux troupes françaises qui devaient apparaître à Passy ou à Levallois-Perret. Cette fois encore, on attendit en vain, et l’amiral comprit qu’abandonné par le pouvoir exécutif il ne lui restait plus qu’à se retirer. Mû par un sentiment chevaleresque, il assuma sur lui la responsabilité d’une retraite qui allait laisser Paris aux prises avec les complications les plus violentes. Il rassembla toutes les lettres, toutes les instructions, toutes les dépêches que M. Thiers lui avait adressées et les jeta au feu. De cette façon, dit-il, je n’aurai pas, dans un moment de vivacité, la tentation de raconter du haut de la tribune de l’assemblée que c’est parce que j’ai imperturbablement exécuté ses ordres que rien n’a été sauvé. — Dans la nuit du 24 mars, les maires capitulaient et accordaient pour le dimanche 26 les élections d’où devait sortir la commune, et le 25 l’amiral Saisset, commandant supérieur des gardes nationales, licenciait officiellement son petit corps d’armée. C’en était fait, Paris était abandonné à la révolte ; le gouvernement légal ne devait y rentrer que deux mois après au milieu des massacres et des flammes. Pendant ces deux mois, la Banque saura se préserver ; pendant ces deux mois, un personnel admirable, quatre chefs de service intelligens et dévoués, un conseil de régens impassibles dans l’accomplissement du devoir, vont assister le marquis de Plœuc, sous-gouverneur, auquel échoit l’honneur périlleux de prendre en main la barre du navire, — bien menacé, — qui porte le crédit de la France.


MAXIME DU CAMP.