Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/305

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Paris, bien plus qu’aux causes morales, qui, dans cette triste équipée, n’eurent qu’une influence secondaire. Si l’on eût été armé et outillé convenablement, il n’est pas douteux que l’on n’eût recherché l’occasion de combattre, même sans l’aide que M. Thiers fit plusieurs fois espérer, même malgré M. Thiers, qui en somme, tenant ferme à sa volonté nettement exprimée d’imiter le feld-maréchal Windischgrætz, à Vienne, voulait rentrer dans Paris tambours battans, enseignes déployées, par la brèche, comme autrefois Charles VI après la révolte des Maillotins.

Au milieu de cet affaissement général, la Banque tenait bon ; elle se sentait prête à tout, à la paix ou à la guerre, selon les circonstances. Institution de crédit, gardienne de la fortune publique, dépositaire de la fortune des particuliers, créancière du commerce et de l’industrie par suite d’avances énormes, responsable à l’égard de la France et de l’étranger des valeurs étrangères et françaises dont elle conservait les titres, elle n’avait aucune initiative à prendre ; elle attendait et se gardait. Parmi ses fonctionnaires, parmi ses employés, il ne manquait pas d’hommes hardis qui disaient : « Il faut nous battre ; quand on saura que la Banque est attaquée, que le livre des comptes courans peut être, découvert et vérifié, que nos caisses vont être mises au pillage, que la serre des titres est forcée, que le portefeuille des effets escomptés est aux mains de tous, que le dépôt des objets précieux est livré à la foule, tout Paris se lèvera et d’un seul élan brisera l’insurrection. » C’était un va-tout à jouer, mais il était bien périlleux et de réussite incertaine. Des hommes plus calmes, pénétrés de leur devoir et de leur responsabilité, apaisaient cette effervescence et répondaient : Il sera temps d’en venir aux mesures extrêmes lorsque l’on ne pourra plus faire autrement ; jusque-là ayons toute patience, toute abnégation, et ne reculons devant rien pour rendre intact à qui de droit le dépôt dont nous sommes responsables ; il vaut mieux supporter quelques avanies, faire au besoin un sacrifice, abandonner quelques parcelles pour sauver le tout, que de se jeter témérairement dans une aventure dont l’issue est trop aléatoire. Ces sages conseils prévalurent au lendemain du 18 mars et guidèrent la conduite de la Banque pendant la commune.

Elle était du reste quelque peu protégée extérieurement par des bataillons de l’ordre qui, réunis à la Bourse et à la mairie du Ier arrondissement, faisaient pendant la nuit et même pendant le jour de fortes patrouilles dans les rues par où l’on eût pu arriver jusqu’à la Banque. Le mot d’ordre des bataillons réguliers n’était pas le même que celui des bataillons fédérés. Parfois des pelotons adverses se rencontraient aux environs de la rue des Petits-Champs et de la place Vendôme. Les fédérés criaient : Qui vive ? —