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qu’ils n’ont pas été réformés d’un commun accord. Le gouvernement anglais ne refuse pas de coopérer aux réformes de ces traités que la force des choses impose ; il ne conteste pas à la Russie quelques-uns des bénéfices de ses victoires, — il ne lui reconnaît pas le droit de biffer du bout de l’épée ce qui a été fait d’intelligence avec les autres nations, de créer arbitrairement des états nouveaux, de transformer la Mer-Noire en lac russe, de mettre sous sa tutelle le passage des détroits, de fonder ou de préparer plus ou moins directement sa domination en Orient. Au traité de San-Stefano, il oppose des actes dont le cabinet de Saint-Pétersbourg a déclaré lui-même ne pouvoir se délier sans une entente avec toutes les puissances. Sur ce point, il est jusqu’ici inflexible, et la force de l’Angleterre vient justement de ce qu’en défendant ses intérêts elle défend les intérêts et la liberté de l’Europe ; elle reste pour ainsi dire retranchée et campée sur le terrain du droit européen. Ce n’est point une querelle de mots comme on le dit quelquefois ; la lutte est au plus profond des choses, dans les intérêts, dans les traditions, et elle prend une bien autre importance, elle s’élargit étrangement lorsqu’on embrasse, de l’Occident à l’empire des Indes, l’immense champ de bataille où peuvent se rencontrer les deux puissances rivales. C’est ce qui fait la gravité de cet antagonisme entre la Russie et l’Angleterre, même quand par un expédient momentané de diplomatie une armée et une flotte, « l’éléphant et la baleine, » cesseraient d’être en présence. C’est ce qui rend le problème d’une conciliation si difficile à résoudre, et le malheur est que plus on va plus cette situation se complique ; elle s’aggrave chaque jour de tout ce qui se passe en Europe aussi bien qu’en Orient. On aurait beau se faire illusion, le péril ne diminue pas.

Qu’arrive-t-il en effet ? Tandis que la diplomatie directe ou indirecte poursuit ses négociations sans résultat saisissable jusqu’ici, l’Angleterre, toujours lente à se mouvoir, mais froidement résolue dès qu’elle a pris son parti, l’Angleterre ne discontinue pas ses arméniens. L’activité redouble dans ses arsenaux ; des corps d’expédition se forment, des détachemens de l’armée des Indes sont appelés à Malte, les colonies les plus lointaines se mettent en défense ou en disposition de seconder la mère-patrie. Tout est en mouvement, et lord Beaconsfield, fort de l’appui de la reine, du parlement, de l’opinion nationale, ne s’est pas avancé jusqu’à ce point pour battre en retraite sans avoir des garanties suffisantes. L’Angleterre ne fera pas à coup sûr la guerre par plaisir, elle ne la fera que si elle ne peut pas l’éviter ; elle est visiblement prête à l’accepter seule ou avec des alliés, sans enthousiasme comme sans faiblesse, plutôt que de consentir à l’éclipse de son influence dans ces contrées orientales. Quant à l’Autriche, qui a tout à la fois des intérêts plus directs et une position plus compliquée, elle arme elle aussi, sans éclat, en négociant toujours, en cherchant à obtenir des