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prépara une première conjuration, celle des Grecs et des chevaliers de Malte, qui fut dénoncée et n’aboutit qu’à d’horribles massacres. Peu après, en 1612, il s’en forma une autre beaucoup plus redoutable, puisque, outre les Hellènes, elle comprenait les Bulgares, les Serbes, les Herzégoviniens et les Dalmates ; le chef de cette immense insurrection devait être Charles de Nevers, descendant des Paléologues ; l’Espagne et Venise l’empêchèrent d’éclater. En 1669, la Crète, avec Venise, lutta pendant vingt années contre les Turcs. En 1684, cette république occupa le Péloponèse et l’Attique. En 1716, elle soutint contre les Ottomans le siège de Corfou et dut aux Grecs de conserver cette île.

C’est vers cette époque que la politique des Hellènes dut se transformer et qu’ils cessèrent de placer la fin de leurs maux dans leur soumission à une puissance chrétienne. La France et, à sa suite, les autres états de l’Europe, avaient fait leur paix avec les Turcs. Venise était épuisée et donnait depuis longtemps déjà des signes de décadence. Par le génie de Pierre le Grand s’élevait dans le nord une puissance nouvelle dont les proportions devenaient menaçantes et qui, touchant à la Turquie, pouvait à toute heure l’envahir et gagner les rivages de la Méditerranée. La crainte de la Russie donna naissance à ce système de politique générale qui prit le nom « d’équilibre » et dont un des élémens essentiels fut la conservation de l’empire ottoman. Les deux principaux champions de ce système furent l’Angleterre, à cause de son commerce maritime, et l’Autriche, parce que, en contact avec la Turquie et la Russie à la fois, elle serait singulièrement menacée du côté du sud-est, si les Russes descendaient vers le midi. L’hellénisme n’eut plus beaucoup à espérer du côté de l’Occident, tant que l’équilibre européen aurait pour base l’intégrité de la Turquie. Celle-ci n’avait plus d’ennemis réels que les Russes ; il ne faut donc pas s’étonner que, pendant plus d’un siècle, les Hellènes aient coopéré avec ces derniers ; c’est la politique d’équilibre qui les avait jetés dans leurs bras. Les Slaves avaient en outre l’avantage, aux yeux des Grecs, de professer la religion orthodoxe, et d’avoir comme eux pour adversaire l’église de Rome. Enfin Russes et Grecs semblaient poursuivre en commun la solution du grand problème des races, des religions et des nationalités en Orient, à savoir l’expulsion des Turcs hors de l’Europe et le rétablissement du christianisme sur le Bosphore. Les insurrections grecques n’eurent plus lieu qu’à de longs intervalles, dans les crises de la politique d’équilibre. Celle de 1769 et, l’année suivante, l’incendie de la flotte turque à Tchesmé, où les navires grecs avaient joué un rôle important, furent suivies de massacres ; 20,000 Péloponésiens furent vendus en esclavage.