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et les îles de la Méditerranée. Elle en donnait l’expression durable, et formulait un code qui sert de base aux civilisations modernes.

Sparte vainquit pourtant Athènes ; mais les principes conservateurs, dont elle se faisait la gardienne farouche et intraitable, ne l’empêchèrent pas de succomber en même temps et de disparaître sans laisser de trace, tandis que l’œuvre des Ioniens, même après la prise d’Athènes par Lysandre, continua de grandir et de se transformer. Sparte était un monde fermé qui n’acceptait ni changement, ni recrues ; le nombre de ses citoyens diminuait toujours : elle périt quand le sang lui manqua. Les constitutions ioniennes avaient créé des républiques ouvertes : les lois s’y modifiaient selon la nécessité des temps ; les citoyens n’y formaient point une caste, et accueillaient dans leurs rangs tout étranger qui remplissait les conditions fixées par la loi. Les villes ioniennes pouvaient être détruites, les champs ravagés, les fortunes anéanties ; la société persistait en vertu des principes sociaux et politiques qui avaient présidé à sa formation. Quand elle ne pouvait se refaire sur place, comme après les guerres médiques, elle se transportait en masse dans des pays lointains, où elle créait des villes nouvelles, souvent mieux construites et mieux ordonnées que les anciennes. Par là elle perpétuait et propageait les idées qu’elle avait conçues dans la mère patrie et ouvrait un champ nouveau à la civilisation.

Tel fut le résultat principal de l’expédition d’Alexandre, préparée par celles d’Agésilas et de Xénophon. Ce roi vivait dans un temps où tous les états de la Grèce s’étaient mutuellement démontré leur impuissance à créer l’unité nationale. Le besoin en était si grand qu’Alexandre eût pu aisément les réunir et en former un seul état puissant, indivisible et compacte, qui se serait étendu sur tout le pays au midi du Danube. Mais on oublie trop que les guerres de Darius et de Xercès n’avaient été que des expéditions malheureuses et qu’en réalité la puissance des Perses n’en avait que faiblement souffert. C’est ce que démontrèrent les événemens du siècle suivant qui aboutirent au traité d’Antalcidas, c’est-à-dire à l’asservissement des Grecs d’Asie. En détruisant l’empire mazdéen, Alexandre affranchit les frères d’Asie et satisfit au besoin le plus urgent de l’hellénisme, mais en même temps il suscita le plus grand déplacement que la civilisation grecque ait jamais éprouvé. L’émigration commença par l’armée ; à la vérité, Alexandre ne fit d’abord passer le détroit qu’à un petit nombre de Grecs ; mais pendant toute la durée de son expédition il reçut de nombreux renforts qui ne rentrèrent jamais dans leurs foyers. Les armées de ses successeurs contenaient au moins une moitié de soldats hellènes, venus en grande partie des pays grecs : à la bataille de Raphia, en 217, celles d’Antiochus