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seigneur campagnard que le journal ne nous fasse passer sous les yeux : il mentionne les achats, il note les « raccoustremens » ou réparations : il indique le nom de l’artisan, le prix du travail, les imperfections qu’il présente. Nous sommes mis à même de savoir que notre châtelain avait d’élégantes et riches chausses en tenné ou taffetas, en satin, en velours. Il nous renseigne sur ses mules et ses pantoufles, mais aussi sur les chaussures de toute sorte, beaucoup moins élégantes, qu’il fait faire pour lui et ses gens, et ce qu’il en use fait assez voir qu’il ménageait peu ses pas. Aussi en achète-t-il à des prix qui ne dépassent guère ceux de ses serviteurs, et il ne dédaigne pas de les faire ressemeler : petit détail, mais qui montre l’économie portée loin chez ce châtelain, dont la libéralité ne peut être mise en doute. Il achetait du cuir, le faisait travailler au manoir. Il y a là maints détails sur l’industrie et le commerce de la cordonnerie à cette époque.

On ne rencontre guère ailleurs tant de particularités, les unes simplement curieuses, les autres plus importantes pour l’histoire du vêtement. Le pourpoint n’était pas seulement porté par gens de haut parage. Gouberville en avait de riches, mais en faisait peu d’usage ; il en faisait faire pour son frère bâtard en belles couleurs voyantes avec du drap rouge : Lajoie lui-même étalait un pourpoint acheté à Bayeux. La soie figure dans plus d’un vêtement du châtelain : il en est de même qu’il désigne simplement sous ce nom de soie. Il paie fort cher pour de simples doublures. Mais sa grande parure est sa robe de droguet. Le temps était bon pour les pelletiers. Rien que pour avoir fourré cette robe de droguet, il donne au pelletier de Valognes, qui avait passé deux jours au château pour cette besogne, 25 solz ! Ainsi voilà un travail payé plus de 12 francs par jour ! Il donne à un autre pelletier pour trois jours de peine, et, il est vrai, pour une partie de la matière, cent solz ; il s’agissait alors d’un manteau de peau blanche et de deux peaux de loup servant de fourrure. Laissons là d’autres vêtemens qui ne sont plus guère connus de nous, tels que les cottes pointes, « faictes à las d’amours, » les beaux manteaux que son « cousturier » lui fabrique une fois en si grande hâte qu’il fallut, il s’en confesse dans ses mémoires, travailler le dimanche, cas plus véniel peut-être à ses yeux que de coutume, car ce manteau était pour faire honneur à « messieurs du chapitre » de Coutances, où il se rendait pour une conférence avec eux. Il fallait que le vêtement eût égard au climat. On prenait des précautions contre l’humidité dans ces campagnes toujours si exposées à la pluie, et Gouberville achetait pour ses gens force grands cappeaux. Cela tenait lieu jusqu’à un certain point du parapluie, lequel ne devait guère paraître en France que vers 1680. Mais que dire de toute cette