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manière dont on entendait alors le traitement des malades. Il nous donne le nom des médecins, chirurgiens ou barbiers qui exerçaient dans cette partie de la Normandie, avec l’indication de leurs remédies et le chiffre de leurs honoraires. On est surpris de rencontrer, parmi ces médecins de campagne investis régulièrement du droit d’exercer, bon nombre de prêtres. Combien de particularités sur le diagnostic on rencontre dans ce journal ! Le châtelain du Mesnil-au-Val était lui-même souvent malade. Il souffrait des reins et du côté droit. Il avait des rhumes qui dégénéraient en maladies. Enfin je ne me hasarde pas beaucoup en indiquant la plus fréquente de ses indispositions, bien qu’il n’ait jamais écrit le mot, même en caractères grecs : on doit avouer que ses repas trop copieux lui causaient de fréquentes indigestions. Il se faisait saigner sans être convaincu de l’opportunité de ce moyen, qu’on prodiguait beaucoup trop. Ses remèdes à lui, quand il se soignait et qu’il soignait ses voisins, étaient d’ordinaire plus anodins. C’étaient des cataplasmes, dont il nous donne la recette, c’étaient « la gelée aux pieds de veau » et force boissons chaudes ; l’usage médicinal du clairet et du cidre lui inspire une grande confiance ; l’emploi qu’il fait du chou comme nourriture et médicament rappelle l’abus qu’en faisait déjà Caton pour ses esclaves et sa famille.

On a pu voir dans certains détails l’indice de quelques côtés qui semblent un peu vulgaires chez ce gentilhomme laboureur, chasseur, batailleur, ami de la bonne chère. Ce qui n’est pas vulgaire ; c’est sa charité, c’est son âme. Lorsque le rude et énergique châtelain, qui dans ses travaux rustiques n’épargne ni lui ni les autres, et qui dans son manoir a bien l’air, malgré ses heures de familiarité et d’expansion, d’un dominateur obéi pour sa capacité autant que pour son rang, lorsque le sire de Gouberville se retrouve le soir en face de ce papier auquel il confie tout, il y inscrit aussi ses bonnes actions, mais c’est en toute simplicité, et sans en tirer jamais vanité devant lui-même. Quel élan, quelle richesse de cœur, attestent plusieurs de ces traits qu’il remémore de la sorte ! Dans les mots mêmes qui lui échappent, souvent quelle naïveté touchante ! Il montre combien il se prodigue pour ainsi dire, allant ou plutôt courant partout où besoin est. Pour porter secours à un domestique gravement blessé, on le voit partir incontinent, tout seul, de nuit, après les fatigues d’une longue absence, n’ayant eu que deux heures de sommeil, sans se donner le temps de « se dévestir » et sans qu’il ait « beu ni mangé. » Ses courses à travers champs pour porter ainsi assistance sont perpétuelles. A l’égard des plus pauvres gens quelle tendresse, quelle délicatesse, qui se manifestent par des attentions coûteuses aussi pour sa bourse ! Il n’est morceau qu’il ne fasse acheter pour tel brave campagnard tout exprès à la ville. C’est sans