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trahissent l’adolescent en travail de croissance. Le glaive semble bien lourd pour sa main ; l’effort que l’enfant a dû faire pour le lever et pour trancher le col du géant se lit encore dans les veines gonflées du bras. Posée à terre, l’énorme tête de Goliath fait encore mieux ressortir l’âge tendre et la faiblesse apparente du vainqueur. Age, circonstances, costume, tout est indiqué avec une précision minutieuse. C’est encore ainsi que Donatello, dans son charmant David en bronze du Musée national, a coiffé sa statue d’un chapeau de berger, qu’entoure une couronne de feuillage. L’importance attribuée à ce détail, dans une figure d’ailleurs complètement nue, a bien quelque chose de bizarre, mais c’est qu’avant tout le sculpteur tenait à déterminer avec une clarté parfaite le sens et le nom de sa figure, à ne point laisser au spectateur même un instant d’hésitation.

Ainsi comprise, la sculpture religieuse et historique se rapproche singulièrement du portrait. Nous n’y voyons qu’une seule différence ; dans le portrait proprement dit, l’artiste étudie son modèle avec les yeux du corps ; au contraire lorsqu’il s’agit du Christ, de saint Jean ou de David, c’est devant les yeux de l’esprit que pose le modèle. La méthode est d’ailleurs la même, l’effort est le même pour isoler et définir un personnage, pour le séparer de la multitude des êtres qui ont été appelés à la vie par le souffle de Dieu ou par l’imagination de l’homme, rivale du Créateur.

De tous les sculpteurs florentins, Michel-Ange est le seul qui n’ait pas laissé de portraits. Il n’en a pas fait quand il avait à représenter des personnages contemporains, tels que Laurent et Julien de Médicis ; à plus forte raison s’est-il élevé au-dessus du portrait lorsqu’il se mesurait avec les souvenirs de l’histoire juive et chrétienne. C’est que, tout en achevant, tout en couronnant l’école florentine, il la dépasse de toute la hauteur de son prodigieux génie. Il est bien le descendant et l’héritier des Brunelleschi, des Ghiberti, des Verocchio, de ce Donatello qu’il admirait avec tant d’effusion ; mais il Test aussi de ces sculpteurs antiques dont il étudiait les œuvres, tout jeune encore, dans ce jardin, voisin du couvent de Saint-Marc, où Laurent le Magnifique avait ouvert ce que l’on a si bien appelé la première école des beaux-arts[1]. Avant tout il est lui-même, c’est-à-dire l’imagination la plus riche et la plus forte que la renaissance ait produite. Il est bien Florentin par les emprunts

  1. L’expression est de M. Eugène Guillaume, dans l’étude intitulée : Michel-Ange sculpteur, qui fait partie du volume consacré par la Gazette des Beaux-Arts à la gloire du maître, l’année où l’Italie a fêté le quatrième centenaire de sa naissance. Dans cet essai, cet artiste éminent s’est montré critique subtil et passionné, écrivain d’une distinction rare. Personne ne lira ces pages sans y beaucoup apprendre et sans y trouver un très vif plaisir.