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années de la fin, et, comme la première, elle est à l’usage de ceux qui voudront s’en servir, qui n’auront pas la naïve fatuité de croire que tout est bien dès qu’ils sont les maîtres, dès qu’ils ont des majorités, et qu’ils n’ont plus rien à apprendre de ceux qui les ont précédés. Ils auraient beaucoup gagné si par cette histoire d’un demi-siècle, d’il y a trente ans, ils avaient appris que les régimes libéraux et sérieux ne se fondent que par une courageuse sagesse, par une vigilante modération, qu’ils sont déjà menacés lorsqu’ils commencent se croire trop victorieux.

Les expériences sont pour tout le monde. L’Italie elle-même aujourd’hui fait son expérience. L’Italie, depuis qu’elle s’est reconstituée comme nation, a été gouvernée presque invariablement, — sauf les cabinets toujours éphémères de M. Rattazzi, — par les libéraux modérés, dont M. Minghetti, M. Sella, M. Visconti-Venosta, restent encore les chefs principaux. Aux dernières élections, le souffle populaire a tout changé, tout renversé ; les libéraux modérés, qui forment la droite dans le parlement, ont éprouvé un déroute complète, et depuis ce moment l’Italie est entrée dans une ère assez nouvelle. Elle a une majorité parlementaire de la gauche, elle a des ministres de la gauche, elle est passée sous ce qu’on pourrait appeler le commandement de la gauche. Ce n’est point un péril très sérieux ou du moins très immédiat, puisque c’est sous ces pouvoirs de la gauche que l’Italie vient de traverser la crise la plus grave qu’elle eût à redouter, la double crise d’un changement de règne par la mort de Victor-Emmanuel et d’un changement de pontife par la mort du pape Pie IX. Les faits ont prouvé que, quels que soient les hommes placés au pouvoir, il y a au-delà des Alpes des conditions de vie intérieure assez fortes pour n’être pas ébranlées même par les événemens les plus sérieux.

Jusqu’à quel point cependant cette situation offre-t-elle des garanties de régularité et de stabilité dans l’ordre ministériel et parlementaire ? C’est une autre question ; c’est là ce qui reste d’autant plus obscur que jusqu’ici ce règne de la gauche semble assez incohérent et assez peu assuré. Le premier cabinet formé après les dernières élections avait pour chef M. Depretis, un vieux Piémontais aux mœurs et aux opinions modérées. Ce ministère n’a pas été longtemps sans avoir ses difficultés intimes, il s’est modifié il y a quelques mois par l’entrée de M. Crispi au ministère de l’intérieur ; mais M. Crispi a eu des mésaventures toutes privées qui ne lui ont pas permis de rester au pouvoir ; en même temps la majorité se montrait fort divisée, elle avait ses dissidens dont le chef était M. Benedetto Cairoli, et après M. Crispi c’est le ministère tout entier qui a été amené à donner sa démission. Il a été assez récemment remplacé par un ministère dont le chef désigné d’avance était M. Cairoli, qui venait d’être élu président de la chambre