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congrès, bien qu’elle ne recule pas devant la perspective d’un appel à la force, s’il devient nécessaire d’y recourir en dernier ressort. Quelle serait l’attitude de l’Autriche au sein du congrès, s’il se réunissait ? Sur ce point, on est contraint jusqu’ici de s’en rapporter à la déclaration faite le 9 mars par le comte Andrassy devant les deux délégations réunies. Il ne faut pas perdre de vue que cette déclaration a été lue, que tous les termes, par conséquent, en avaient été soigneusement pesés. Il en ressort ces trois points : que, dès le début de la crise, le cabinet de Vienne a fait connaître à la Russie ce qu’il considérait comme les intérêts de l’Autriche et « qu’il a revendiqué son droit de les faire valoir lors du règlement définitif de la paix ; » qu’en proposant un congrès il a demandé et croit devoir demander que « les résultats de la guerre soient limités de façon à ne léser ni les intérêts autrichiens, ni les intérêts de l’Europe ; » enfin qu’il ne doute pas que la voix de l’Europe ne soit entendue « parce que l’état qui voudrait régler des questions européennes suivant son seul bon plaisir devrait pouvoir compter sur l’appui d’une coalition capable d’imposer sa volonté à l’Europe, et que cette coalition n’existe pas. » Cette déclaration est la plus importante de toutes : elle donne à entendre, sous une forme voilée, que la Russie ne peut compter pour soutenir des prétentions excessives ni sur le concours de l’Autriche, ni sur l’appui de l’Allemagne. Elle a reçu une nouvelle confirmation du langage que le comte Andrassy a tenu, le 19 mars, en parlant de ses relations personnelles avec M. de Bismarck, et en mettant ses auditeurs en garde contre les interprétations qui avaient été données au discours du chancelier allemand. Malgré la modération étudiée de la déclaration lue par le comte Andrassy, il est évident que le cabinet de Vienne ne donne pas son adhésion à certaines stipulations du traité de San-Stefano, qu’il est résolu à demander et qu’il compte obtenir des satisfactions.

Est-il nécessaire d’entrer dans de longs détails pour démontrer que le traité de San-Stefano lèse les intérêts de l’Angleterre, d’une puissance dont le commerce dans la Mer-Noire et dans les contrées riveraines du Danube dépasse en importance celui de toutes les autres nations réunies ? Laissons la parole à un homme à qui personne ne contestera une connaissance profonde de l’Orient. Informé confidentiellement par le comte Schouvalof des conditions que la Russie comptait imposer à la Turquie lorsqu’on traiterait de la paix, lord Derby avait fait part de cette communication à l’ambassadeur anglais à Constantinople. Dans deux dépêches, en date des 13 et 19 juin 1877, M. Layard émettait l’avis que les plus grands revers pourraient seuls déterminer le sultan à subir des conditions qui conduiraient fatalement à une dissolution presque immédiate de