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Serbes. C’est grâce, à leur connivence que les Russes ont pu franchir le Danube sans coup férir, ravitailler librement et facilement leurs armées et tourner le quadrilatère turc. Quand les troupes russes eurent été abattues et désorganisées par leur défaite devant Plevna, quand il suffisait d’une offensive vigoureuse des généraux turcs pour rejeter les envahisseurs au-delà du Danube, l’entrée en ligne de l’armée roumaine rétablit l’équilibre des forces, elle permit aux réserves russes d’arriver à temps, et, dans les assauts victorieux donnés à Plevna, il est tombé autant de soldats roumains que de grenadiers russes. Ce sont des services dont l’importance ne peut être méconnue. En retour, la Roumanie n’avait stipulé que son indépendance, qui ne pouvait faire doute, et la faculté de traiter directement avec la Turquie de l’indemnité de guerre qu’elle estimait lui être due. L’intention du gouvernement roumain n’était point de réclamer de la Porte une somme d’argent ; il se proposait uniquement de demander la cession de la Dobroudja afin d’avoir en sa possession tout le cours inférieur du Danube, dont une seule rive lui avait été donnée par le traité de 1856, Quelle n’a donc pas été la déception du gouvernement roumain en apprenant par la publication des préliminaires de paix que la Russie s’était fait céder la Dobroudja et qu’elle comptait lui en imposer l’échange contre la Bessarabie !

L’indignité des procédés ajoutait encore à l’amertume du désappointement. Le journal russe le Golos a reconnu loyalement que la Roumanie aurait dû être instruite des intentions de la Russie au moment où l’on négociait avec elle la convention militaire. Loin qu’il en ait été ainsi, ce projet d’échange a été soigneusement caché à la Roumanie, même après qu’il eut été porté à la connaissance du gouvernement anglais, en juin 1877. Le colonel Arion, envoyé par le gouvernement roumain pour prendre part à la négociation de l’armistice et des préliminaires de paix, a été tenu à l’écart par les plénipotentiaires russes et laissé dans une ignorance complète des questions qui se débattaient. C’est après la signature des préliminaires, et seulement par leur publication ; que les Roumains ont appris avec toute l’Europe que leur alliée disposait d’une partie de leur territoire. Le coup était d’autant plus cruel que cette portion de la Bessarabie que le tsar veut reprendre est un démembrement de la Moldavie, dont elle a été détachée en 1812 par les Turcs pour être cédée à la Russie, qui voulait porter sa frontière jusqu’au Danube. Le traité de 1856 n’avait donc fait que ramener sous l’administration roumaine un pays habité de tout temps par des Roumains. On voulait arracher de nouveau à la Roumanie ce lambeau de son territoire, et c’était la main d’un allié qui, pour prix de ses services, lui infligeait cette mutilation ! Un