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ne comprenaient pas toujours la valeur. Le petit nombre des électeurs censitaires dont dépendait l’élection pouvait être aussi pour les députés, sûrs du concours de leurs amis, un autre motif de négligence et de dilettantisme. Il y avait là pour les institutions un péril, que le progrès des mœurs publiques tend à éloigner. Le nombre des abstentions a diminué, bien que les vieux partis aient continué à prêcher l’abstention comme un devoir, moins pour entraver le jeu régulier des institutions que pour rester maîtres de s’attribuer les voix des indifférens et des paresseux.

Par bonheur en effet pour les libertés publiques, au lieu de chercher à profiter de la négligence de leurs adversaires pour en prendre la place dans les assemblées électives, les partisans de l’ancien régime se sont d’ordinaire réfugiés dans le silence et l’abstention. Par là même, le peu de zèle des électeurs et des élus perdait beaucoup de ses inconvéniens. Dans le parlement, les luttes se trouvaient bornées à des hommes et à des partis également dévoués à l’Italie nouvelle, de façon que l’on n’y a jamais vu le triste spectacle, si commun en France, d’une minorité hostile à la constitution et au principe même du gouvernement, ne cherchant dans les libertés parlementaires qu’un moyen de destruction. En Italie, les vieux partis ont, par leur abstention, coopéré à l’affermissement du nouvel ordre de choses, et là où ils se sont décidés à se mêler aux luttes électorales, ils ont réveillé le zèle de leurs adversaires libéraux, en sorte que, de quelque façon qu’ils aient manœuvré, les amis des régimes déchus ont été jusqu’ici hors d’état d’arrêter le jeu des institutions parlementaires.

Une autre difficulté du gouvernement constitutionnel, celle-là plus particulière encore à l’Italie, c’est l’esprit local, le régionalisme. Les anciens petits états ont partout loyalement abdiqué au profit de la patrie commune, ils n’ont pu encore se fondre assez les uns dans les autres pour toujours oublier leur origine, leurs traditions, leurs intérêts particuliers. Entre les diverses provinces de la péninsule la soudure est faite, mais on voit encore la marque de la soudure. Les intérêts régionaux tiennent une grande place dans la politique italienne, les hommes de chaque province tendent à former au milieu des partis des groupes divers. Une telle disposition n’a rien d’étonnant après une séparation de tant de siècles, et peut-être a-t-elle été fortifiée par la manière même dont s’est faite l’unité. En s’annexant de nouvelles provinces, l’ancien royaume de Piémont a voulu montrer à tous que ce n’étaient point les Piémontais, mais les Italiens qui gouvernaient le royaume d’Italie. Pour cela, on a dû faire entrer dans les divers cabinets des représentans des principales régions du royaume. Depuis, l’habitude en est restée. Chacun