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lendemain l’ordre et la paix dans le nouveau royaume. Il fallait un prince tel que Victor-Emmanuel pour réunir en faisceau les influences si diverses et les forces parfois si disparates qui ont accompli la révolution italienne.

Est-ce à dire que c’est Victor-Emmanuel seul qui a fait l’Italie ? Non certes, à de telles œuvres ne suffisent ni la loyauté d’un roi galant homme, ni le génie d’un Cavour, ni l’audace d’un Garibaldi. De pareilles révolutions sont moins l’ouvrage d’un homme que l’ouvrage d’un peuple et de l’histoire ; elles ne réussissent que lorsqu’elles sont dans l’ordre de la nature et conformes aux intérêts et au génie des nations. Les destinées de l’Italie étaient écrites d’avance dans son cadre de flots et de montagnes, dans l’homogénéité du peuple italien, si un à travers toute sa variété. L’Italie moderne est moins l’œuvre des hommes que l’œuvre de la nature. Quand il disait dédaigneusement que l’Italie était une expression géographique, M. de Metternich en confessait à son insu l’indestructible personnalité. Grâce à la géographie, l’Italie devait survivre à tous les traités de partage, à toutes les violences de la conquête ; le peuple italien était assuré de renaître dans son unité, dans son intégrité. La Providence, pour lui si longtemps ingrate en apparence, lui avait fait le plus grand des dons, elle lui avait donné des frontières indélébiles. Depuis longtemps déjà « le beau pays que l’Apennin partage et qu’entourent la mer et les Alpes[1] » était moins divisé par ses minces cloisons de montagnes que par les traités et la politique de l’étranger. Un jour devait venir où tous ces tronçons séparés du même corps se joindraient et se souderaient ensemble, où l’Italie formerait un état, comme depuis des centaines d’années elle formait une nation. Et dans quel siècle cette révolution devait-elle se faire, si ce n’est dans l’âge de la vapeur et de l’électricité, quand partout les montagnes semblaient s’aplanir et les distances s’effacer ?

Elle a eu beau étonner l’Europe de sa brusque venue au monde, l’unité italienne a, comme toutes choses vivantes, eu son laborieux enfantement et son obscure gestation. Depuis des siècles, de Dante à Alfieri, l’union des Italiens était lentement élaborée par les lettres et par l’art. Depuis 1800 surtout, la poésie, l’histoire, le roman, la philosophie même, d’Ugo Foscolo à Massimo d’Azeglio, de Colletta à Balbo, de Silvio Pellico à Gioberti, de Cantù à Guerrazzi, la littérature de toutes les écoles et de toutes les régions de l’Italie n’était qu’une glorification voilée ou découverte, qu’une apologie passionnée de l’idée nationale, à tel point qu’on pourrait dire que l’Italie a été faite par ses poètes et ses écrivains. Depuis la fin du XVIIIe siècle, elle était insensiblement unifiée par les guerres et

  1. « ……il bel paese
    Che Apennin parto e il mar circonda e l’Alpe. »