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développés dans le rapport présenté par M. de Bonald en 1873, résultent de la nature même de la propriété forestière et de la nécessité pour la société de conserver certaines régions à l’état boisé. Cette nécessité est justifiée, d’une part, par l’influence que les forêts exercent sur le climat d’une contrée et sur le régime des eaux ; d’autre part, par l’obligation où se trouve l’état de produire les bois de fortes dimensions, que les particuliers, soumis à toutes les vicissitudes de la fortune, ne peuvent fournir d’une manière normale et continue. C’est pour répondre aux intérêts de cette nature que l’ordonnance réglementaire du premier août 1827 a prescrit d’aménager en futaie toutes les forêts auxquelles ce régime est applicable, que des lois spéciales ont été faites pour le reboisement des montagnes et des dunes, que le défrichement des bois particuliers a été interdit dans certains cas déterminés, et c’est pour assurer la conservation des massifs boisés et garantir les générations futures contre les entraînemens de la génération présente que la gestion des forêts communales a été soustraite aux municipalités et confiée à l’administration forestière. Ces intérêts sont absolument étrangers au ministère des finances, dont le rôle, dans l’organisation administrative, est, non de rendre directement des services à la société, mais de recueillir les impôts qui permettent aux autres ministères de fonctionner.

Parce que les forêts rapportent annuellement de 35 à 40 millions, on les avait attribuées au ministère des finances, sans s’apercevoir que la question fiscale n’est ici que secondaire, et que c’est pour des motifs d’un tout autre ordre que l’état est propriétaire de bois. Cette confusion a eu des conséquences déplorables. D’abord elle a permis au gouvernement de ne considérer les forêts que comme une ressource dont il pouvait disposer dans les momens difficiles, et d’aliéner, depuis 1814, 355,811 hectares de bois domaniaux ; ensuite, elle a eu pour résultat d’engager le ministre des finances à exagérer les exploitations pour augmenter les produits immédiats, à sacrifier l’avenir au présent, et à faire plier les exigences culturales devant la nécessité d’équilibrer un budget. C’est ce qui a motivé, à une certaine époque, les nombreuses conversions de futaie en taillis qui ont amené la ruine de beaucoup de nos plus belles forêts, et qui, dans ces derniers temps, ont empêché de faire l’opération inverse. Transformer une futaie en taillis, c’est en effet réaliser un capital, tandis que revenir du taillis à la futaie, c’est diminuer le revenu annuel pour reconstituer le capital primitif représenté par les arbres sur pied, et l’on conçoit que, si la première de ces opérations sourit à un ministre des finances, la seconde doit le laisser beaucoup plus froid.