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vue anthropomorphique, et à ne voir dans les divinités venues de l’Orient que des hommes divinisés et idéalisés. Grâce à cet anthropomorphisme, le caractère panthéiste et naturaliste de la vieille religion égyptienne s’était effacé et avait même entièrement disparu. La religion égyptienne était née du sentiment de la divinité répandue dans tout l’univers. C’était l’aspect de la nature qui l’avait inspirée. Au contraire, les Grecs, comme tous les peuples de l’Occident, sont tentés de considérer l’homme non comme une partie de la nature, mais comme un monde opposé à la nature, séparé d’elle ; c’est à cette prédominance du point de vue humain qu’est due la religion grecque. Or la philosophie se présente précisément en Grèce sous un point de vue tout opposé à celui-là : elle est justement et presque exclusivement une philosophie de la nature. C’est le monde objectif qui est l’objet de ses recherches, et elle est animée, comme la religion primitive, d’un profond esprit de panthéisme naturaliste. Cette opposition de la philosophie et de la religion ne se comprendrait pas si l’une venait de l’autre, et si on ne supposait au contraire que, ne pouvant trouver dans la religion autochthone une direction suffisante, l’esprit philosophique est allé demander la science aux cosmogonies orientales, qu’il a rapportées en Grèce pièce à pièce, débris par débris. C’était justement le moment où la Grèce entrait de nouveau en commerce avec l’Orient. Deux grands faits historiques sont en effet contemporains de Thalès : l’ouverture de l’Égypte aux étrangers, en 656, et la conquête de la Lydie, de la Phrygie, de l’Asie-Mineure par les Perses en 544 ; la vie de Thalès s’écoule entre ces deux événemens. Ainsi l’Orient aurait fondé deux fois le système des croyances de la Grèce, la première fois par la religion, la seconde par la philosophie.

En quoi donc consistent maintenant, suivant M. Röth, les deux courans d’idées dont la rencontre aurait produit toute la philosophie de l’Europe occidentale ?

La mythologie égyptienne est un vaste système de métaphysique dont le caractère le plus saillant est le panthéisme naturaliste. Les principaux traits de ce système sont les suivans : les Égyptiens admettaient à l’origine des choses une substance primitive qui est le fond commun de toute existence. Ce serait la divinité primitive (Urgottheit) ; elle ne fait qu’un avec le monde, mais en même temps elle s’oppose au monde, et à ce point de vue elle s’appelle le Caché (Amoun). C’est l’Avyacta de la philosophie indienne, le non-développé : c’est le vide de la philosophie bouddhique et de la philosophie chinoise de Lao-tseu. Cette divinité primitive se composerait, selon Röth, de quatre essences fondamentales, avec lesquelles elle constituerait, non pas une trinité, mais une quaternité, et, pour employer l’expression grecque, une tétractys. Ce sont : l’Esprit