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sur ce point de prétendus emprunts (qui ne sont de fait admis par personne), ce ne serait que pour un ouvrage particulier, l’un des derniers de Platon, et le reste de la philosophie grecque demeurerait intact. Quant au fond des choses, il a été établi d’une manière décisive que ni la doctrine de la création ex nihilo, ni la doctrine de la trinité ne sont dans Platon[1]. La doctrine du Verbe est une doctrine alexandrine qui n’est, rigoureusement parlant, ni dans le Timée, ni dans les livres saints. L’analogie dans l’ordre des créations, que l’on invoque comme quelque chose de surprenant, n’est pas d’abord si grande qu’on le dit dans les deux ouvrages : mais quoi d’étonnant d’ailleurs que l’on se rencontre en pareille matière ? N’y a-t-il pas un ordre naturel, indiqué a priori, et fondé sur le besoin que les êtres ont les uns des autres ? Enfin, quelque similitude qu’il puisse y avoir par accident entre tel et tel passage, il suffit de lire les deux ouvrages pour s’assurer qu’ils appartiennent à un ordre de spéculations entièrement différent.

Lorsque nous passons de la Judée à l’Inde, la question devient beaucoup plus sérieuse ; car, si d’une part il est plus facile de supposer des communications de la Grèce avec la Judée qu’avec l’Inde, d’un autre côté nous trouvons dans l’Inde ce que nous ne trouvons pas en Judée, c’est-à-dire une philosophie, et une philosophie qui se développe comme en Grèce sous la forme de vastes ou de puissans systèmes[2]. La philosophie grecque aurait-elle eu sa source au-delà de l’Himalaya ? Voilà la question nouvelle qui se présente à nous. Cette question serait bien vite et facilement résolue, si l’on admettait l’opinion d’un savant historien de la philosophie, Henri Ritter, qui considère la philosophie indienne tout entière comme postérieure à la philosophie grecque, et comme contemporaine tout au plus des premiers siècles du christianisme. Dans cette hypothèse, s’il y avait quelque analogie entre les systèmes, ce serait de la Grèce que les idées auraient passé dans l’Inde et non de l’Inde dans la Grèce. Mais l’opinion de Ritter n’est plus soutenable aujourd’hui, et, quelque obscurité qu’il y ait dans la chronologie indienne, il y a deux faits importans qui réfutent cette supposition : l’un c’est que le bouddhisme, qui est antérieur au Ve siècle avant Jésus-Christ, paraît postérieur au moins à l’un des systèmes indiens,

  1. Voyez les savantes Études sur le Timée de M. Henri Martin.
  2. L’histoire de la philosophie indienne, trop négligée depuis quelques années, paraît devoir être reprise par un jeune élève de l’École des hautes études, M. P. Regnaud. Voyez ses Matériaux pour servir d l’histoire de la philosophie de l’Inde. (Bibliothèque de l’École des hautes études, XXVIIIe fascicule, 1876.) Nous devons aussi signaler. quoique ne se rapportant pas aussi directement à notre question, le beau travail de M. Bergaigne sur les Dieux souverains dans la religion védique. Paris, 1877.