Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/781

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les révélateurs de la Grèce et de l’Orient ne sont que des noms différens donnés à Moïse ! Déjà les anciens, sans tomber dans ces folles exagérations, avaient affirmé les analogies des philosophes grecs et des livres saints. Aristobule en avait signalé quelques-unes entre le pythagorisme et le judaïsme : par exemple, le tétractys de Pythagore est le tétragramme de Moïse. Eusèbe trouve le Verbe chez les Hébreux comme chez les Grecs. Suivant Clément d’Alexandrie, le stoïcisme s’est inspiré du livre de la Sagesse. Le hasard d’Epicure n’est que le vanitas vanitatum. Anaxagore avait pris aux Juifs sa doctrine de l’intelligence ordonnatrice. Enfin le point le plus sérieux du débat, le seul qui ait quelque valeur et quelque intérêt, c’est la comparaison de la Genèse avec le Timée de Platon. On croyait que Platon, dans sa définition de Dieu, s’était inspiré de celle de la Bible : « Je suis celui qui est, » c’est dans le même sens, disait-on, qu’il avait opposé l’être au devenir, l’éternité au temps. On retrouvait dans le Timée la doctrine de la création, et on insistait surtout sur la similitude dans la série des créations. On signalait même des expressions et des pensées presque semblables. Dans le Timée, Dieu « se réjouit d’avoir fait une œuvre bonne. » Dans la Genèse, il est dit que « Dieu vit que cela était bon. » La théorie du Verbe est encore un emprunt de Platon aux livres saints. Dans le Timée, le Verbe est le monde des idées, le modèle, « le paradigme. » Ainsi, dans la Genèse, Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image. » On prétendait encore trouver la Trinité dans Platon et dans l’Ancien-Testament.

À tous ces argumens opposons rapidement ceux de la critique moderne. L’antériorité des livres saints est incontestable ; mais elle ne prouve que la possibilité et non la réalité du plagiat. L’hypothèse d’une traduction grecque de la Bible antérieure aux Septante ne repose que sur le témoignage d’Aristobule, qui ne mérite aucune confiance et n’est qu’un vulgaire falsificateur. Un retour des Juifs en Égypte avant la fondation d’Alexandrie est tout à fait dénué de preuves. Tout ce que l’on pourrait admettre, ce sont des rapports de commerce entre les deux peuples ; mais la philosophie ne voyage guère par ce chemin-là. Rien de plus arbitraire et de plus absurde que les rapprochemens faits par Huet entre Moïse et tous les personnages sacrés de l’antiquité. La Grèce n’a pas connu la Judée avant la conquête d’Alexandre ; et elle ne s’en est pas beaucoup occupée, même après. Les rapprochemens entre les livres saints et les premiers philosophes grecs sont tout ce qu’il y a de plus arbitraire et de moins sérieux. L’hypothèse n’a qu’une seule base quelque peu solide, nous l’avons dit : c’est l’analogie de la Genèse et du Timée. Mais en admettant un instant