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la défendre, elle ne paraît pas beaucoup plus soutenable que les deux précédentes, dont il se déclare lui-même l’adversaire.

Ainsi, la Judée, l’Inde, la Perse, l’Assyrie, l’Égypte et la Phénicie, ont été successivement invoquées comme les éducatrices de la Grèce. La Chine elle-même n’a pas été oubliée par la critique hardie de l’Allemagne, et un savant distingué, M. Gladisch, croit retrouver en Chine l’origine de la doctrine pythagoricienne, la doctrine des nombres[1] ; un savant mathématicien, M. Cantor, a trouvé en effet des rapports curieux et des coïncidences inattendues entre certaines idées mathématiques des Chinois et les idées de Pythagore. Ainsi la Chine elle-même serait pour quelque chose dans l’éducation de la Grèce, à moins cependant, ce qui serait plus vraisemblable, que la Chine n’eût avec la Grèce d’autre rapport que d’avoir puisé à une source commune, à savoir à Babylone ; mais cela même offre encore bien des difficultés.

Il restait place pour un dernier système, donnant satisfaction à tous les orientalistes : c’est le système éclectique. Or, toutes les fois qu’un système est possible, il faut le chercher en Allemagne, on est sûr de l’y rencontrer. Le même savant que nous venons de nommer, M. Gladisch, propose une solution qui donne raison à tout le monde. Comme il y a cinq grands peuples en Orient, il y a cinq-grandes écoles philosophiques en Grèce, et chacune d’elles se rapporte à une origine distincte. De la Chine viendrait donc, comme nous venons de le voir, le pythagorisme ; de l’Inde, l’éléatisme ; de la Perse, l’héraclitéisme ; de l’Égypte, les doctrines d’Empédocle ; de la Judée, la doctrine d’Anaxagore. Que deviendrait dans ce système la doctrine atomistique ? On ne nous le dit pas. Ou plutôt, puisqu’on est en veine d’éclectisme, pourquoi ne pas faire également la part de la Phénicie, et, suivant une vieille tradition, pourquoi ne pas attribuer au Phénicien Mochus la doctrine des atomes ? Ainsi tout le monde serait satisfait et chacun aurait sa part, excepté la Grèce, qui, dans ce partage, serait dépouillée de toute spontanéité, de toute originalité. Si l’on met à part la révélation, qui pourrait expliquer la supériorité de la Judée, on ne voit pas, puisque certaines idées ont dû naître quelque part, pourquoi elles ne seraient pas nées en Grèce aussi bien qu’ailleurs. A priori, l’une des hypothèses vaut l’autre, et nous croyons, avec M. Zeller, que dans l’état actuel de la science l’analyse des faits donne raison à la première opinion.

  1. Voyez sur cette question une étude de M. Laugel dans la Revue du 15 août 1864 : Pythagore et la critique allemande.