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Chaldée : c’est le chemin des influences orientales dont nous aurons tout à l’heure à mesurer l’action. D’un autre côté, la civilisation voyageuse s’était portée vers l’occident, et avait établi en Sicile et dans l’Italie méridionale, appelée Grande-Grèce, de magnifiques colonies. C’est sur ces deux théâtres, aux deux extrémités de l’arbre hellénique, dans l’Ionie et dans l’Italie, que la philosophie grecque a pris naissance, qu’elle a fleuri, qu’elle a brillé jusqu’au moment où tous les débris de ces écoles éparses sont venus se concentrer et se combattre à Athènes, et ont donné naissance par leurs combats à la philosophie attique. Athènes devint le centre du mouvement philosophique de Socrate à Épicure ; mais bientôt la philosophie se disperse avec la puissance grecque jusqu’à ce qu’elle se concentre de nouveau à Alexandrie ; après Alexandrie, ce fut Rome qui devint centre au temps du stoïcisme impérial ; puis Athènes eut encore un rayon de gloire ; la dernière grande école grecque, celle de Proclus, porte le nom d’école d’Athènes ; elle fleurit vers le Ve siècle jusqu’à l’année 525, où les derniers philosophes grecs, chassés d’Athènes par un décret de Justinien, vont se réfugier en Asie, en Perse, à la cour de Sapor, d’où leurs enseignemens et leurs leçons, dernier héritage de la pensée grecque, revinrent en Europe, en Espagne par l’intermédiaire des Arabes. Telles sont les destinées extérieures de la philosophie grecque : nous n’ayons à nous occuper ici que de la première période, celle dont le théâtre est l’Ionie et l’Italie, et qui se termine par l’avènement d’Athènes.

La distinction de deux grandes branches de la philosophie grecque primitive, la branche ionienne et la branche italique, repose sur une autorité inattaquable, celle d’Aristote : elle n’est pas seulement géographique, mais encore philosophique. Sans doute on caractériserait d’une manière très inexacte ces deux philosophies par les expressions toutes modernes de matérialisme et de spiritualisme. Les Ioniens, s’ils sont matérialistes, le sont innocemment, à leur insu, sans se douter même du problème. Quant aux Italiques, ils sont loin d’avoir des notions très claires sur la distinction de l’esprit et de la matière, et leurs conceptions les plus abstraites sont souvent mêlées aux formes les plus grossières. Néanmoins on ne peut nier que l’Ionien ne soit plus préoccupé du caractère sensible et matériel des choses, et ne s’en représente le principe sous une forme plus ou moins matérielle : l’eau, l’air, le feu, les atomes. L’école italique au contraire pose des principes d’une nature abstraite que les sens ne peuvent atteindre, que l’intelligence seule peut saisir : les nombres, l’être en général. Un second caractère plus précis distingue encore ces deux écoles : l’une est plus préoccupée du phénomène, du mouvement ; l’autre est surtout frappée du rapport des choses, de ce qu’il y a