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un ouvrage dont le principal mérite est la clarté par un défilé tortueux et ténébreux. On voit que le jeune auteur obéit à son propre démon, qui le pousse vers la métaphysique : aussi, quand il peut s’échapper sur ce terrain, il y montre un vrai talent : c’est ainsi qu’il oppose heureusement la manière d’entendre le libre arbitre en France et en Allemagne. L’Allemagne est toujours le pays de Luther, du de servo arbitrio ; le libre arbitre n’y est qu’un moyen de réaliser l’unité universelle. En France, on considère plus volontiers le libre arbitre comme « une fin en soi. » Mais, dit avec raison l’auteur, il faut réunir les deux points de vue et affirmer que « l’unité idéale et le libre arbitre sont à la fois des fins en soi. » On remarquait aussi une intéressante discussion où le traducteur critique ce qu’il y a d’excessif dans la méthode purement objective, qui reste par trop indifférente aux œuvres philosophiques qu’elle analyse. Sans doute, la méthode historique doit être désintéressée ; cependant des œuvres philosophiques ne sont pas des œuvres mortes, des monumens historiques. Encore aujourd’hui Platon, Aristote, Épictète, sont vivans, parlans, émouvans pour nous : ce ne sont pas des stratifications géologiques. La philosophie est donc art en même temps que science ; or ce point de vue est trop oublié par M. Ed. Zeller. Nous sommes sur ce point de l’avis du traducteur, tout en faisant observer que chacun fait son œuvre propre, qui n’exclut pas celle du voisin. M. Zeller nous restitue, avec la fidélité la plus scrupuleuse, les doctrines du passé : un autre historien y mettra l’âme et le goût, à la condition toutefois de ne pas franchir les limites de la vérité historique.

Le premier volume de la traduction de M. Boutroux et celui qui doit suivre comprennent toute l’histoire de la philosophie grecque avant Socrate : c’est une œuvre complète, formant un tout, et c’est peut-être ce qu’il y a de plus achevé dans l’ouvrage de M. Zeller. Toute cette partie de l’histoire est dominée par une question générale à laquelle est plus ou moins suspendu l’intérêt de tout l’ouvrage : c’est la question de l’origine de la philosophie grecque : cette philosophie est-elle une œuvre spontanée, une création, ou n’est-elle qu’un emprunt ? vient-elle du sol de la Grèce ? est-elle importée d’Orient ? Telle est la question que nous voudrions examiner, après M. Zeller et tout à fait d’accord avec lui, mais en nous permettant de compléter et de développer sur quelques points la discussion serrée et décisive qu’il a consacrée à cette question. Il sera nécessaire d’abord pour la clarté de résumer rapidement l’ensemble des spéculations grecques dans cette période, c’est-à-dire du VIIe au Ve siècle avant Jésus-Christ.