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indépendante avec la chance d’avoir à rendre la Bessarabie, qu’elle défend passionnément, en échange de la Dobrutscha, dont elle ne veut pas, malgré la libérale obstination des Russes à lui offrir ce territoire embarrassant. Quant au belliqueux Monténégro, il se ressent de l’ancienne et constante protection des tsars ; il est plus que doublé, et il réalise enfin son rêve, il arrive à l’Adriatique, il devient une puissance maritime ! Ceci ne touche qu’aux anciens états déjà plus qu’à demi indépendans de la Porte ; mais la grande création de la paix de San-Stefano, l’objet de toute la prédilection du cabinet de Saint-Pétersbourg, c’est la principauté nouvelle de Bulgarie, Celle-ci, partant du Danube, s’étend entre la Serbie et la Mer-Noire, contourne Andrinople, va jusqu’à la mer Égée, eu golfe d’Orfané, jusqu’aux abords de Salonique. Elle comprend la Roumélie, des parties de la Thrace, de la Macédoine, de l’Albanie, La Bulgarie est la privilégiée ! Et de l’empire ottoman que reste-il ? C’est en vérité un état assez baroque, Le sultan reste le gardien des détroits des Dardanelles, du Bosphore, et il conserve Constantinople avec un « potager. » Sur la mer Egée, il a Salonique avec son golfe, ses promontoires, et un autre « potager, » une banlieue resserrée de toutes parts. Hors de là il n’a pas encore perdu la Thessalie, l’Épire, où il est déjà menacé par les Grecs, et il reste provisoirement en possession de l’Herzégovine, de la Bosnie, où l’on n’arrivera plus que par un défilé étroit, ménagé entre la Serbie et le Monténégro.

L’empire ottoman n’est plus qu’un composé de trois ou quatre tronçons qui ne communiquent plus même entre eux ou qui n’ont que des communications tolérées, toujours incertaines, sous le bon plaisir des Bulgares. Dans l’épaisseur de la Turquie d’Europe tout entière, du Danube à Salonique, se déroule sans interruption la Bulgarie nouvelle, et dans cette Bulgarie, vainement affublée du titre de principauté tributaire, la Russie campe pour deux ans avec une armée d’occupation de 50,000 hommes. Un prince de la famille du tsar, ou tout au moins son allié, a certainement bien des chances d’être élu comme chef de l’état qui vient d’être créé ; il est déjà désigné. Un commissaire russe est chargé, pendant deux ans, de l’installation du nouveau gouvernement. Il ressort de cet ensemble d’arrangemens une chose parfaitement évidente. D’empire ottoman il n’y en a plus, il n’y a qu’un fantôme, une ombre de sultan qui a reçu l’autre jour le grand-duc Nicolas dans son palais avec les honneurs dus à un victorieux. Il n’y a plus dans ces provinces ensanglantées et pétries par la guerre qu’une agglomération d’états anciens ou nouveaux, comblés ou mécontens, agités par tous les antagonismes de race ou de religion, et entre lesquels la Russie reste une médiatrice souveraine et nécessaire. C’est la Russie qui est la vraie maîtresse de l’Orient à l’heure qu’il est. Elle va désormais par la Bulgarie jusqu’à la mer Egée, et par son influence sur le Monténégro jusqu’à l’Adriatique. Elle a ce qu’elle désirait, sinon par voie de possession