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d’école que c’était lui qui avait gagné la bataille de Sadowa, qu’il a fini par n’en plus douter et que ses prétentions n’ont plus de bornes. Il s’attribue une mission de législateur, il se croit appelé à tout réformer, à tout refaire, il le prend de haut avec la société, il la régente, il lui donne le fouet, il est persuadé que rien n’ira bien s’il ne s’en mêle ; il se figure qu’il est un Moïse et que son pupitre est un mont Sinaï.

Une erreur non moins féconde en résultats funestes est l’idée fort exagérée et un peu superstitieuse qu’on se fait en Allemagne des attributions, des prérogatives, de la compétence de l’état. On l’y considère comme une sorte de divinité, exempte de toutes les faiblesses, de toutes les ignorances humaines, douée d’une sagesse et d’une moralité vraiment surnaturelles. Si elle n’exauce pas toutes les prières qu’on lui adresse, si elle ne détruit pas en un tour de main tous les abus, ce n’est pas impuissance, c’est mauvais vouloir de sa part, et il faut la traiter comme le paysan calabrais traite son saint, qu’il fouette outrageusement pour le contraindre à opérer des miracles. Il est très vrai, Comme le remarque M. Bemberger, que lorsqu’on parle du gouvernement, c’est le plus souvent pour en médire, pour lui reprocher ses erreurs ou ses maladresses, mais qu’on parle en se signant de l’état et qu’on lui attribue l’omnipotence et l’omniscience, sans faire la réflexion que d’ordinaire l’état est représenté par un gouvernement. Les Allemands du nord surtout sont disposés à attendre monts et merveilles de cet être impersonnel, impeccable, infaillible qu’on appelle l’état. Dieu sourd et infirme, tu ne les écoutes guère ! Ils lui demandent de savoir la médecine mieux que les médecins et d’apprendre la chimie aux chimistes. Ils lui demandent encore de travailler, toute affaire cessante, à réformer le théâtre allemand, en ouvrant une école où il formera des dramaturges, des vaudevillistes, et leur enseignera par raison démonstrative les principes de la composition dramatique. Tel économiste de Berlin le sollicite par surcroît de confisquer la propriété immobilière dans les grandes villes ; c’est à lui de loger convenablement les particuliers, peut-être s’occupera-t-il aussi de procurer à ses locataires des concierges irréprochables, à moins qu’il ne s’oblige à leur tirer lui-même le cordon. Tel autre économiste lui représente que la bière brune ou blanche est devenue bien mauvaise et le met en demeure de fonder des brasseries pour en fabriquer de potable. Quelle terre de bénédictions serait l’empire germanique, si l’état s’y faisait chimiste, architecte, logeur et brasseur, si on y buvait de la bière d’état, si on y voyait jouer des mélodrames et des vaudevilles d’état, construits selon des règles délibérées en séance plénière par le Bundestag, votées après trois lectures par le Reichstag. Mais ce n’est pas assez que l’état fabrique de la bière et des pièces de théâtre, on exige encore qu’il se fasse fabricant de bonheur, qu’il en ait à donner à tout le monde et