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ces œuvres d’ambition, de prétention et de déclamation guindées, loquaces et tenaces où la jeunesse et le sentiment vrai ne s’accusent nulle part. Ce que je reproche surtout à cette institution du Théâtre-Lyrique telle qu’on l’a comprise et pratiquée jusqu’ici, c’est de n’avoir pas abondé davantage dans un genre moyen plus conforme au plan que l’on se proposerait, d’attirer à la lumière le mérite inconnu ; pour les grands ouvrages en cinq actes, il y a l’Opéra, doté de ressources incomparables et contre qui lutter n’est point possible ; ceux qui voudraient l’essayer encore feront bien de relire cette fable de La Fontaine que ni M. Carvalho ni M. Vizentini n’avaient assez méditée, sans quoi ce malheureux théâtre ne serait pas en ce moment à reconstituer. Une salle de proportions ordinaires, ni trop grande ni trop petite, pouvant faire de quatre à cinq mille francs de recettes, la-moyenne des frais généraux ne dépassant pas deux mille cinq cents francs, je me demande s’il ne conviendrait pas de s’en tenir à une combinaison de cette nature. On n’y jouerait ni la Walkyre, ni le Rheingold, ce qui serait certainement un grand malheur pour la musique de l’avenir, mais un malheur dont profiterait la musique du présent, vu que, les directeurs ayant perdu peu à peu l’habitude de se ruiner, les jeunes talens, désormais sûrs d’un lendemain, n’auraient plus à se mettre en peine que de leur inspiration. Plus de personnel spécial en dehors de la troupe ; tout auteur qui réclamerait M. Capoul, Mlle Nilsson ou la Patti, serait rejeté ipse facto, car il demeure entendu qu’on ne perdrait jamais de vue le statut fondamental, grâce auquel les auteurs nouveaux, les jeunes, auront seuls droit de cité. Nul doute qu’un Théâtre-Lyrique ainsi aménagé n’eût des chances de durée, surtout s’il admettait dans son répertoire et des traductions et des représentations de chefs-d’œuvre classiques montés en manière d’intermède et qui feraient de cette scène sans appareil ni faste décoratif, mais absolument musicale, la succursale dramatique des concerts populaires. Si modéré que fût le cadre, le vrai talent y trouverait encore sinon à s’espacer, du moins à témoigner d’aptitudes qui se développeraient ensuite à l’Opéra. M. Gounod dans Faust, Bizet dans Carmen, ont donné leur mesure, et le genre que nous indiquons se prêterait très bien à des ouvrages conçus dans des proportions de pièces qui ne dépasseraient pas l’étendue de l’opéra italien. On irait de la sorte de la Fanchonnette et du Bijou perdu à Faust, aux Noces de Figaro et même jusqu’à Don Juan, dont certains amateurs spéciaux ne manqueraient pas de goûter la réduction en se disant et se répétant que rien n’est beau comme un chef-d’œuvre exécuté devant un paravent entre quatre chandelles, ce qui peut être vrai quand l’imagination fantastique d’un Hoffmann éclaire la salle et devient, dans les autres cas, une simple niaiserie.

« Avant de peindre des épaulettes, il faut savoir peindre des épaules, »