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l’Opéra, les artistes, les musiciens, les choristes n’étaient point payés. Ces allocations, ces subsides, ont peut-être absorbé quatre cent mille francs ; si, conformément au cahier des charges, l’administration supérieure eût envoyé au directeur un inspecteur des finances, on aurait constaté que depuis un an la position était insoutenable. — « Quel est votre acte de société, quels sont les fonds dont vous disposez pour parer aux éventualités ? voyons vos livres. » Ainsi parle, ainsi doit parler l’état ; et, si l’enquête ne le satisfait pas, s’il découvre des irrégularités, des tripotages : trafics avec les marchands de billets, escomptes onéreux de succès non encore réalisés, en un mot tous ces expédiens au moyen desquels un théâtre aux abois s’ingénie à différer la catastrophe imminente, le devoir est de couper court et de renvoyer le directeur. Faites que cette mesure eût été prise peu de mois après l’entrée en fonctions de M. Vizentini, que de maux conjurés, que d’argent épargné, un vrai trésor qui présentement servirait à constituer un Théâtre-Lyrique plus sortable ! Envoyer un simple inspecteur des finances à tel ou tel directeur qu’on soupçonne être dans l’embarras, il semblerait que ce soit là un moyen bien simple ; le malheur est qu’on ne s’avise jamais de tout et même que, lorsqu’il s’agit d’y regarder de près et d’y voir clair dans les affaires de théâtre, on ne s’avise jamais de rien.

« Depuis qu’on a fait l’essai du Théâtre-Lyrique, dit le rapporteur de la commission du budget, l’expérience a été assez concluante pour qu’il n’y ait plus lieu de renouveler cet essai. » L’arrêt n’est que juste, et la chambre a sagement avisé en interrompant cette folle et pernicieuse martingale que d’autres joueurs n’eussent pas manqué de continuer. Susciter les talens, leur faciliter la carrière, éclaircir ce labyrinthe sans issue où se sont fourvoyés tant d’infortunés lauréats du prix de Rome, est un de ces vœux qui ne trouvent pas de contradicteurs, et les deux cent mille francs si libéralement confiés à l’initiative du ministre au moment même où le théâtre était mis en interdit témoignent en ce sens des excellentes intentions de la chambre. Tout le monde convient qu’il y a quelque chose à faire ; le difficile est de préciser la question et de fonder une entreprise qui dure. Nous savons et nous savons trop comment meurt le Théâtre-Lyrique ; tâchons maintenant de nous rendre compte des moyens qu’on pourrait bien employer pour le faire vivre. Une seule cause, l’énormité des frais, a produit et devait fatalement produire la ruine des diverses exploitations qui se sont succédé ; le dernier directeur a péri par où jadis avait péri M. Carvalho, dont une catastrophe non moins mémorable que celle que nous venons d’avoir sous les yeux couronna le règne, réputé pourtant si fameux. C’est que la plupart se sont trompés sur les conditions du genre ; presque tous ont visé trop haut, n’ayant en perspective que la question d’art et