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M. Réty, secrétaire-général du théâtre, qui disparaît dans le gouffre et dont aucun débris n’a surnagé. Cette fois le Théâtre-Lyrique déménage ; du boulevard du Temple, il transporte ses pénates à la place du Châtelet, où M. Carvalho reprend les dés, joue sa deuxième partie et la perd. D’ordinaire, quand on parle de M. Carvalho, c’est toujours sa première campagne qu’on met en avant, l’autre, la mauvaise, la néfaste, est prudemment reléguée dans l’ombre, car, si l’une s’appelle la victoire, celle-là s’appelle la défaite, et pis encore la catastrophe. Ni les brillans débuts de Mlle Nilsson, ni la Flûte enchantée, ni Mireille, n’eurent le pouvoir de conjurer l’inévitable. Il fallut, en dépit d’une lutte désespérée, céder à l’impulsion donnée, succomber, et le théâtre ferma ses portes sur un déficit de douze cent mille francs.

Chacun sait comment la salle du Châtelet fut incendiée par la commune et comment il advint que le phénix renaquit de ses cendres à la Gaîté, pays de féerie et de mélodrame. On s’était ruiné en expériences de tout genre, on avait joué pêle-mêle : Jeanne d’Arc, Orphée aux Enfers, la Haine, Geneviève de Brabant ; tout avait réussi outre mesure, on ne comptait que des succès hyperboliques, et, selon l’usage, il se trouvait que, la dépense n’étant jamais en proportion de là recette, on perdait en réalisant le maximum. Organiser à nouveau le Théâtre-Lyrique parut alors un coup de maître, et le ministre nomma directeur M. Vizentini, lequel employa les deux cent mille francs de sa subvention à continuer l’ancien système, c’est-à-dire à marcher tout doucement vers l’abîme par des chemins tout pavoisés d’arcs de triomphe. Nous touchons au grand et très grand succès de Paul et Virginie, et, voyez l’aventure, ce succès même allait tourner à perte. On n’imagine point de pareils frais ; des sujets presque tous engagés spécialement pour la circonstance : Mlle Ritter, Mme Engalli, M. Capoul. En outre, avec Paul et Virginie, pas de lendemain, les bénéfices, le plein, le trop plein de la veille servant à peine à réparer l’irréparable vide du jour suivant ; de plus quelques essais malheureux, des ouvrages représentés dix ou douze fois devant des recettes insignifiantes, et dont la mise en scène coûtait fort cher[1]. Bref la situation devenait impossible ; malgré les subsides extraordinaires que les ministres ne cessaient d’accorder, malgré les allocations prises sur les bénéfices de

  1. Inutile d’insister sur ce point que ni l’œuvre d’art ni les auteurs ici ne sont en jeu. Ce que nous discutons, c’est le système d’administration, évidemment détestable puisqu’il ne peut, en tout état de cause, aboutir qu’aux plus graves mécomptes. Il faut en arriver à ce qu’un succès ne soit pas nécessairement une occasion de ruine pour le théâtre. Dimitri, le Timbre d’argent, Paul et Virginie, le Bravo, réussissent, et nonobstant le théâtre s’écroule ; pourquoi ? par défaut d’équilibre entre les dépenses et la recette. L’état ne peut subvenir à tout, il donne son argent, les auteurs donnent leur talent, et c’est affaire aux directeurs de s’arranger de manière qu’un succès soit désormais une vérité pour eux, comme pour les auteurs, comme pour le public.