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mérite de ne point se moquer des gens ; c’est de l’Adolphe Adam, et souvent du meilleur, adapté fort habilement à la mode du jour ; et si pour la verte allure, la rondeur du couplet et l’entrain populaire, la Fille de Mme Angot vous reporte au Postillon de Lonjumeau, il y a dans le Petit Duc des sentimentalités, des délicatesses et des grâces savantes qui vous font penser à Giralda. Tout ceci n’est déjà plus de la décadence, cette période est franchie ; loin de s’abaisser, les niveaux s’exhaussent ; ce qui jadis suffisait ne suffit plus et va chercher sa vie sur les scènes secondaires.

Je me souviens qu’au sortir de la répétition générale de l’Étoile du Nord, quelqu’un s’écriait : « Cette musique-là va faire éclater la salle. » Ce mot, disait vrai, la salle d’autrefois s’en est allée en pièces ; pour en retrouver le modèle et le petit répertoire, il nous faut désormais courir aux Folies-Dramatiques, à la Renaissance. Cette évolution vers un élargissement de la forme que rendait nécessaire le progrès des temps ne s’est depuis plus démentie ; d’autres que Meyerbeer, bien qu’à mérite inégal, l’ont poursuivie, et les partitions de Roméo et Juliette, de Cinq-Mars, celle de Carmen surtout, sont là pour témoigner de la continuité de tendance. Il est même à prévoir, — le mouvement actuel étant donné, — que bientôt les anciens maîtres du logis en seront réduits à ne plus s’exhiber que dans les matinées. Cette idée me venait l’autre soir en entendant à l’Opéra-Comique tous ces motifs exquis des Diamans de la couronne, ces jolis riens délicieusement vocalises par une débutante, Mlle Vauchelet, très douée, très musicienne, et qui, malgré son inexpérience du théâtre, ne trouverait que sympathie et paroles encourageantes, s’il ne se menait tant de bruit autour d’elle. Mais que ces rhythmes dansans ont bonne grâce, que d’esprit dans cette perpétuelle conversation des voix et de l’orchestre où le trivial jamais ne se montre, mélodie qui se brise en poussières chatoyantes, libellule glissant sur le lac qui miroite ! Donnez à quelque habile du moment une de ces abeilles de l’Hymete, et vous verrez comme il s’empressera de l’étouffer sous la triple ouate de son instrumentation. Fantaisie et caprice, faut-il donc vous proscrire du monde de la musique, tandis que l’art des arts, la poésie, vous tient en si bel honneur ? Rien ne ressemble à cette aimable digression d’Auber, à cet ondoyant, à ce trouvé, comme certaines échappées lunatiques de Musset dans ses comédies en prose ; et pourtant comparez : Musset, jusqu’ici du moins, n’a pas vieilli, tandis que ce divin pastel d’Auber, même pour ceux qui l’ont goûté le plus, déjà se fane. Serait-ce que l’atmosphère du Théâtre-Français posséderait le privilège de mieux conserver ses morts ? Je le croirais presque ; en effet, cette juxtaposition incessante avec les chefs-d’œuvre du passé communique aux ouvrages d’origine plus récente une sorte de consécration relative, et peu à peu les fait entrer dans la postérité sans qu’on s’en