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personnages a même été assez grand pour que l’auteur ait cru devoir leur faire les honneurs d’une suite, honneurs peu communs, et que depuis la trilogie dont Figaro est le héros, aucun personnage dramatique n’a, je crois, obtenus ; mais les suites valent rarement les premières œuvres qu’elles continuent, et c’est pourquoi le Fils de Giboyer et Lions et Renards n’ont été qu’un prétexte pour forcer une certaine note qu’à notre avis M. Augier aurait peut-être aussi bien fait de ne pas donner avec autant d’éclat.

La Contagion continue sous une forme nouvelle cette vigoureuse défense de la famille que nous avons remarquée dans le Mariage d’Olympe et les Lionnes pauvres. Prenez garde, dit M. Augier dans cette pièce à la famille moderne, il y a des corruptions et des corrupteurs de plus d’une sorte, et tout danger n’est pas écarté parce que vous êtes parvenus à éconduire une Olympe ou à éviter une Séraphine Pommeau. Regardez quels sont ceux qui fréquentent vos fils, ceux dont ils se plaisent à copier le ton, à répéter les paradoxes, dont ils admirent avec une complaisance étourdie le trop constant bonheur au jeu, les galanteries trop affichées, le train coûteux difficile à expliquer sans la possession de la lampe d’Aladdin, les jeux de bourse trop miraculeux pour un temps qui n’admet plus les sorciers. Pour appuyer et justifier son conseil, il rassembla nombre de traits épars que connaissaient les Parisiens au courant des propos de clubs, de théâtres, de salons et de champs de courses, les réunit en un seul corps, et en forma son baron d’Estrigaud. Le personnage réalise entièrement le but que l’auteur s’est proposé ; il a de la portée. A-t-il autant d’originalité, et serait-il bien difficile de lui trouver un prototype ? Ce noble personnage a des ancêtres de plus d’une sorte, car dans la littérature d’imagination son grand-père, il y a cent ans, s’appelait le comte de Valmont, vous savez, l’infâme Valmont des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos. Ce qui nous fait bien croire que c’est là réellement son origine, c’est que nous le voyons imiter d’assez près son effroyable modèle pour être autorisés à écarter la supposition d’une rencontre fortuite et inconsciente. Corrupteur par principe comme Valmont, intrigant machiavélique et souterrain comme lui, il a renouvelé avec une petite dame du nom de Navarette, qu’il a prise pour complice de ses vices élégans, l’association clandestine du comte avec la satanique baronne de Merteuil. Il y a plus, la leçon très directe qui sort de la Contagion répète le titre même du roman de Laclos, et l’accole comme une juste qualification au nom du principal personnage ; car qu’est-ce que d’Estrigaud pour ceux qui se donnent le triste plaisir de le fréquenter, sinon une liaison dangereuse au premier chef, l’incarnation même de la liaison dangereuse ? A la vérité d’Estrigaud opère des ravages moins sérieux que ceux de