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faisait et de lui déclarer tout net qu’il ne pouvait accepter une fortune dont la source était aussi notoirement impure ? Le bonhomme Charrier des Effrontés se croit honnête homme en toute bonne foi, à l’occasion même il se donnera des airs de pharisien impitoyable envers les publicains qui, comme Vernouillet, laissent quelque chose à désirer sous le rapport de la probité, en dépit de l’absolution rechignée accordée par la justice à leurs affaires ; il y a si longtemps qu’il a gagné ce procès véreux qui fut le fondement de sa fortune qu’il l’a lui-même oublié. Il croit pouvoir maintenant faire en toute sécurité à sa maison l’application de cette mirobolante définition de l’honneur trouvée par son confrère Roussel de Ceinture dorée : « l’honneur est le luxe des maisons riches ; » mais quel désespoir menaçant et quels reproches amers il lui faut subir le jour où son brave garçon de fils est tiré de sa quiétude par la révélation de faits et gestes qui ont précédé sa naissance ! Le bonhomme Ténancier de la Contagion n’a aucun camouflet intime de ce genre à redouter ; il a cependant aussi ses soucis à l’endroit de la famille, car il se heurte à un danger qui attend maintes fois les maisons de fortune nouvelle, l’écart trop brusque et trop large entre la manière de vivre d’un père né dans la médiocrité et celle d’enfans nés dans la richesse, pour lesquels l’autorité paternelle se réduit à celle d’un coffre-fort amical et grondeur.

La plus complète, la plus dramatique de ces exécutions de pères coupables par leurs propres enfans, est celle qui remplit toute la pièce de Maître Guérin. D’ordinaire les enrichis malhonnêtes de M. Augier sont, en dépit de leurs péchés financiers, sans perversité réelle, et méritent l’expression de bonshommes dont nous nous sommes servi pour les présenter au lecteur. Dans Maître Guérin au contraire, M. Augier a voulu nous montrer le spectacle d’un pécheur endurci que le reproche ne suffit pas pour amener au repentir. Maître Guérin est un notaire madré, chasseur d’affaires intrépide, dont le sens moral n’a jamais contrarié le flair subtil et dont la sensibilité n’a jamais empêché la justesse du tir. Donnant à ce principe bien connu, qu’en affaires il n’y a pas d’amis, l’extension la plus large et en tirant en logicien hardi les conséquences les plus rigoureuses, il se dit que les amis sont le gibier le plus commode à tirer, le plus sûr à atteindre, et que par conséquent ce serait duperie de le manquer. Fort de ce raisonnement malhonnête quoique pratique, cet habile homme dresse des contrats qui sont des trappes, passe des actes qui sont des gluaux, et arrange obligeamment, dans le secret de l’intimité et sous des noms fictifs qui recouvrent le sien, des prêts qui équivalent à des escroqueries. Peu lui importe que sa victime soit un pauvre fou que la rage des inventions pousse à sa ruine, incapable de la gestion de ses biens et vivant sous la