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de crime. Il est vrai que dans ce dernier cas ce père, qui n’est jamais à bout de sentences, répondra que c’est là le châtiment mérité des amours illégitimes ; ce qui est admissible pour la galerie, mais ne saurait être une excuse pour ceux qui ont bénéficié de tels amours. Qu’aurait à objecter Michel Forestier à Mme de Gers, si celle-là s’avisait de lui répondre : « Mariez votre fils, c’est votre droit de père ; s’il y consent, mon cœur se déchirera, mais au moins la blessure sera nette et franche ; mais n’attendez pas de moi que je prête les mains à votre stratagème, parce que c’est me demander de sacrifier mon honneur auquel votre fils ne voudra plus croire, et que d’ailleurs ce moyen n’est digne ni de moi, ni de lui, ni de vous, et ne serait acceptable que si nous étions ambitieux de fournir un sujet de drame à M. Dumas ou à M. Augier. » Les conséquences inévitables d’une telle épreuve ne se font pas attendre en effet. Paul Forestier, qui se croit abandonné, se précipite avec désespoir dans le mariage qui lui est présenté, pendant que sa maîtresse, exaspérée en voyant tourner contre elle l’épreuve à laquelle elle s’est prêtée, se livre au premier sot de sa connaissance qui la sollicite dans un accès de frénésie douloureuse que les psychologues peuvent comprendre, mais dont les physiologistes peuvent seuls bien décrire les caractères et la nature. Un bonheur fondé sur une méprise semblable repose sur une base fragile et ne peut être de longue durée. L’heure des révélations arrive avec la réapparition de la maîtresse sacrifiée ; alors Paul, maudissant le mariage subreptice dans lequel il s’est laissé choir, et sentant se rallumer cet amour qui n’avait jamais été éteint et couvait seulement sous le mépris, prend la résolution de quitter le foyer conjugal pour suivre en dépit d’elle la femme dont on l’a séparé sans son aveu. Si le moyen employé par Forestier père est détestable, il faut avouer que le drame qui en résulte contient de vraies beautés. Paul Forestier est de toutes ses œuvres celle où M. Augier a parlé avec le plus d’éloquence le langage de la passion. C’est une scène pleine d’accent que celle où Léa, la maîtresse sacrifiée, reçoit les confidences naïves de la jeune femme légitime, sa nièce, et la scène entre Paul et Léa, dramatique au plus haut point par la succession des sentimens opposés qui y vibrent, ferait honneur à tout poète. Le dénoûment laisse à désirer, et nous ne pouvons que répéter à ce sujet ce que nous avons dit déjà du dénoûment de Gabrielle. Il est inadmissible que des passions qui sont allées si loin fassent si soudainement volte-face, et que de tels orages s’apaisent sans laisser de longues traces de leur passage, M. Augier a voulu renvoyer son spectateur sous une impression heureuse ; à notre avis, il a eu tort, car par là il a affaibli d’autant la moralité de sa pièce. Il fallait que le rideau tombât sur le deuil du foyer des Forestier, soit par la fuite de Paul, soit