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nécessaire. Dans un tel genre de comédie, l’observation, cessant d’être particulière, peut se ramasser en peintures morales ou se condenser en maximes ; l’indignation, le mépris, le dédain et toutes les autres formes de la justice dramatique, frappant sur des êtres de raison, perdent toute vivacité immédiate et peuvent s’épancher à l’aise en tirades éloquentes. Que le vers est le langage d’une telle sagesse sentencieuse et d’une telle justice contemplative, tout l’ancien théâtre français est là pour l’attester. Il n’en va pas ainsi de la comédie de mœurs, telle qu’on l’entend aujourd’hui surtout. Celle-là établit si peu de distance entre le spectacle et les spectateurs qu’on pourrait presque dire que les spectateurs sont sur la scène et les acteurs dans la salle. Cette forme de comédie détruit donc toute perspective ; mais ce n’est pas pour cette raison seule que la poésie lui est interdite. Supposez en effet le langage du vers appliqué à des sujets comme le Demi-Monde, comme le Mariage d’Olympe, comme les Lionnes pauvres, et à l’instant l’espèce d’ennoblissement dont la poésie va les revêtir en affaiblira non-seulement le caractère dramatique, mais l’enseignement et la moralité. Au langage du vers, Olympe Taverny va gagner de devenir une demi-comtesse véritable, Séraphine Pommeau de cesser d’être un monstre de vulgarité sèche, et la baronne d’Ange de se transformer en héroïne de comédie d’intrigue faite à souhait pour les imbroglios dramatiques et le marivaudage élégant. Non, pour que de tels sujets donnent toute leur moralité, il faut qu’ils restent ce qu’ils sont, sans qu’aucune hypocrisie d’art en atténue l’odieux, sans qu’aucun masque en dissimule la laideur, sans qu’aucun euphémisme de langage en corrige la trivialité. Que les personnages de ces comédies restent donc rapprochés le plus possible du spectateur, qu’aucune illusion d’optique théâtrale ne les en séparé, que le spectateur puisse les reconnaître, les maltraiter, les invectiver, comme il ferait en présence d’un incident de la vie réelle qui révolterait son instinct de l’honnête et son esprit de justice.

Ce que nous disons de la comédie de mœurs contemporaine comporte, il est vrai, de nombreuses exceptions. Il peut se rencontrer tels sujets qui, soit par leur portée générale, soit par la nature des situations et des sentimens qui en découlent, appellent le langage poétique ; c’est à l’auteur à savoir distinguer exactement quels l’exigent et quels le repoussent. Le goût naturel à M. Augier ne l’a pas égaré à cet égard, et c’est ajuste titre qu’ayant adopté la prose à partir du Gendre de M. Poirier, il a fait exception pour les deux pièces de la Jeunesse et de Paul Forestier : la première parce qu’il s’y est proposé un thème social d’intérêt général, la seconde parce que le sujet, étant tout de passion, maintient les cœurs des