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Gendre de M. Poirier inclusivement, n’ont été que les tâtonnemens successifs d’un talent qui cherche sa voie, redoute de s’aventurer et masque ses incertitudes en faisant bonne contenance devant ses doutes, c’est-à-dire en portant dans l’exécution de ses essais dramatiques toute la perfection capable de faire croire que l’auteur est sûr de sa route et qu’il n’en changera pas. Aussi ce premier théâtre se distingue-t-il à la fois par ces deux caractères, qu’il n’y a pas une seule pièce qui soit réellement capitale, et qu’il n’y en a pas une seule de sérieusement faible. Tantôt, comme dans Féline ou l’Homme de bien, il essaie un mélange de la comédie de caractère et de la comédie poétique ; tantôt, comme dans Gabrielle, il opère une combinaison de la comédie de mœurs et de la comédie sentimentale ; tantôt, comme dans Diane, il s’adresse à l’histoire et écrit un drame romantique affaibli de bon sens ; le plus souvent il s’adresse à la fantaisie, qui lui donne toujours de bonnes réponses, gracieusement satiriques comme la Ciguë, spirituellement libertines comme le Joueur de flûte, ou ravissantes à l’égal du pastel le plus coquet et le plus tendre comme Philiberte. Toutes ces œuvres sont intéressantes, chacune dans leur genre, et quelques-unes sont achevées ; la preuve cependant que tout cela n’était que tâtonnemens, c’est qu’il n’en est plus resté vestige dès que M. Augier a eu trouvé sa voie définitive en adoptant résolument la comédie de mœurs. Ce poétique passé a été sacrifié sans merci par l’auteur, qui a eu la fermeté d’opérer sur lui-même une mutilation que la critique la plus sévère n’aurait jamais osé lui conseiller aussi entière. Certes, il faut lui savoir gré de cet acte de mâle bon sens, car le cœur a dû lui saigner plus d’une fois en l’accomplissant.

Parmi les genres qu’il avait cultivés jusqu’alors, il en est au moins un dont l’abandon a dû lui coûter cruellement. Qu’en souvenir du succès médiocre de Diane il ait renoncé sans aucun regret à renouveler ses tentatives auprès de la muse de l’histoire, nous le comprenons ; mais il n’en a certainement pas été de même pour la comédie de fantaisie, dans laquelle il réussissait si gracieusement et à laquelle il avait dû une si heureuse et si soudaine entrée dans la célébrité. Disons à cet égard toute notre pensée, ce sacrifice ne nous paraît nullement regrettable. Sans doute la Ciguë, le Joueur de flûte, Philiberte, sont des œuvres qui se reliront toujours avec plaisir, et que pour notre part nous prisons au-dessus de toutes les autres pièces du premier théâtre de M. Augier. Eh bien ! toutes charmantes qu’elles sont, nous oserons dire qu’elles ne le sont pas encore assez à notre gré. Nous croyons l’avoir insinué autrefois à M. Augier, la fantaisie exige du poète qui lui demande ses inspirations un degré d’emportement dans la rêverie, de fougue dans la grâce, de verve dans