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doute les parquets avaient reçu l’ordre de poursuite d’office. Mais ils exigèrent que les familles des victimes se portassent partie civile. Ce fut pour les criminels un titre à l’impunité. En outre, il y avait entre cette manière de procéder et celle qu’on employait vis-à-vis des adversaires de la restauration une différence inique et révoltante. Ney, Labédoyère, Mouton-Duvernet, Chartran, les frères Faucher, étaient tombés depuis longtemps sous l’ardeur de colères impitoyables, et les meurtriers du Midi goûtaient toujours les bienfaits de la liberté ; les meurtriers d’Arpaillargues étaient montés sur l’échafaud ; on avait exécuté cinq gardes nationaux de Montpellier accusés d’avoir tiré sur le peuple royaliste le 30 juin 1815, et Trestaillons, Quatretaillons et leurs complices semblaient s’être mis au-dessus des lois et n’avoir plus rien à redouter d’elles. Empressés à frapper les uns, les tribunaux n’osaient poursuivre les autres que protégeaient, il est vrai, des complaisances qui ne peuvent s’expliquer que par l’effroi que, même après tant de sang versé, les assassins inspiraient encore. Une étude rapide des procédures fournit à cet égard des argumens péremptoires et justifie ces paroles prononcées un jour à la tribune française : « La terreur avait glacé les témoins. »

Les crimes commis dans Nîmes et dans Uzès étaient, pour la plupart, des crimes anonymes. On désignait tout bas ceux qui y avaient participé, mais personne n’osait les dénoncer publiquement, et, quand quelques hommes de cœur avaient le courage de les signaler à la vindicte publique, il se trouvait des fanatiques pour les défendre. C’est ce qui arriva pour le courtier Boissin, l’auteur de la tentative d’assassinat commis sur le général comte de Lagarde. Depuis le 12 novembre, il avait disparu, et, bien que le préfet eût promis 3,000 francs à quiconque le livrerait à la justice, il put pendant neuf mois rester caché chez des paysans de l’arrondissement d’Arles et se soustraire à toutes les recherches. Enfin, en 1816, il fut arrêté dans cette ville et enfermé dans le château de Tarascon. L’instruction commença aussitôt, et il est remarquable que l’inculpé trouva des protecteurs qui tentèrent, mais en vain, de plaider sa cause à Paris. Renvoyé devant la cour d’assises du Gard, il y comparut le 2 février 1817. Les membres du jury avaient été choisis avec soin parmi des fonctionnaires que l’on croyait étrangers aux passions locales et au nombre desquels on voit figurer plusieurs protestans. Mais, ardemment royalistes, ils étaient accessibles aux prières des uns, aux menaces des autres. L’excitation qui régnait dans la ville avait nécessité les plus énergiques mesures. Tant que dura le procès, les troupes, sous divers prétextes, restèrent sur pied, et le commandant de la division vint s’établir à Nîmes pendant ce temps. Ces précautions aboutirent à un résultat