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protestant une entière liberté. L’agitation devait se prolonger longtemps encore ; mais du moins le règne des excès était fini.


IV

Le récit rigoureusement exact qu’on vient de lire serait incomplet si nous n’indiquions en le terminant quelle suite fut donnée par la justice aux crimes qui, du mois d’avril au mois de novembre 1815, avaient ensanglanté le département du Gard. Bien qu’il soit impossible d’établir d’une manière précise le nombre des victimes de cette époque, on arrive, en calculant avec la modération qui convient à la recherche de la vérité, à un total d’environ cent trente personnes, y compris, d’une part, les volontaires royaux tués pendant les Cent jours, et, d’autre part, d’abord les individus assassinés par les bandes de Trestaillons, de Quatretaillons et de Truphémy, ensuite ceux qui tombèrent sous les balles autrichiennes, et ceux enfin qui périrent dans les combats où les forces des deux partis se trouvèrent aux prises. Ce chiffre, encore qu’il diffère essentiellement des évaluations exagérées de divers historiens, est néanmoins tristement éloquent, surtout si l’on songe que les protestans, parmi les quels figuraient les ennemis du roi, y comptent pour la plus large part et eurent pour bourreaux des hommes qui parlaient et agissaient au nom des royalistes. Il donne la mesure des passions déchaînées en ces jours néfastes. Cependant, quelle qu’eût été l’ignominie de tant de forfaits, un châtiment solennel, une répression immédiate, auraient dégagé le gouvernement de la restauration de la responsabilité qu’on entendait faire peser sur elle. Il lui était aisé de démontrer qu’elle n’avait rien négligé pour arrêter l’effusion du sang et pour rétablir l’ordre public. Les lettres ministérielles en font foi, et c’est avec raison que lie marquis d’Arbaud de Jouques, préfet du Gard, dans la brochure qu’il publia ultérieurement pour justifier sa conduite, invoque à sa décharge le vote du conseil général qui, en juin 1816, approuva ses actes à l’unanimité de ses treize membres, dont six étaient protestans. Mais ce qui souleva la conscience nationale, ce qui a pesé lourdement depuis un demi-siècle sur les hommes mêlés à ces dramatiques péripéties, c’est la lenteur avec laquelle vint le châtiment et la faiblesse qui le rendit incomplet.

Tous les faits de la réaction de 1815 ont mérité une critique analogue. Les assassins de Marseille demeurèrent impunis ; ceux de Toulouse ne furent traduits devant les tribunaux qu’à la fin de 1817 ; ceux d’Avignon qu’en 1821. Quant aux chefs des bandes du Gard, le châtiment pour eux fut encore plus lent à venir. Sans