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des branches de laurier. Une grande foule stationnait aux abords de l’édifice ; elle était malveillante, et, malgré les gendarmes, insulta les fidèles, les menaça, en disant : « Entrez, entrez ! vous ne sortirez pas ! » Néanmoins la cérémonie commença, et le pasteur Juillerat était en chaire quand tout à coup les cris du dehors se transformèrent en railleuses vociférations. Puis une troupe de forcenés pénétra dans le saint lieu, la menace dans les gestes et sur les lèvres. Les femmes, éperdues, se précipitèrent vers la sacristie pour y chercher un refuge. Malgré les efforts du pasteur pour les rassurer, il y eut un moment de panique. Heureusement les gendarmes entrèrent dans la nef et chassèrent les fauteurs de désordre[1].

Pendant ce temps, au dehors, le comte de Lagarde, accouru à cheval, essayait de rétablir l’ordre et haranguait le peuple, que le maire n’avait pu apaiser. C’est dans ce moment, et comme il était pressé par la populace dans une rue étroite, qu’un courtier en soie, le nommé Boissin, dirigea sur lui un pistolet et tira à bout portant. La balle entra dans la clavicule. Le général se crut perdu. Il put cependant regagner l’hôtel de la subdivision et s’alita, après avoir confié le commandement au colonel de gendarmerie. L’exaltation des esprits était telle que le général de Briche, accouru de Montpellier à Nîmes à la nouvelle du malheur dont le général Lagarde était victime, se vit arrêter aux portes de la ville, par un poste de gardes nationaux, avec les façons les plus acerbes et des paroles injurieuses. Ce douloureux événement épouvanta même les plus ardens meneurs et prévint sans doute des malheurs plus grands. Le comte de Lagarde fut la seule victime de cette journée ; mais les attroupemens ne se dispersèrent pas. Les protestans, rentrant chez eux, furent insultés une fois de plus. Leurs femmes durent cacher le saint-esprit d’or qu’elles portaient sur leur poitrine[2]. Quand le temple fut vide, quelques énergumènes enfoncèrent la porte, déchirèrent les livres saints, brisèrent les chaises, et l’on entendit ces exaltés dire : « C’est à recommencer ! Trop de précipitation a tout fait manquer. »

A la nouvelle de ces événemens, le duc d’Angoulême, qui se dirigeait vers Toulouse, s’était hâté de revenir sur ses pas. Il arriva dans Nîmes le 15 novembre, fit entendre des paroles sévères, refusa les honneurs qu’on voulait lui rendre et renvoya l’escouade de gardes nationaux qui venait se mettre à son service. Sa présence permit de désarmer les compagnies irrégulières, de reconstituer définitivement la garde nationale et de rendre au culte

  1. Archives nationales. Dossier des événemens du Midi en 1815.
  2. Archives nationales. Dossier des événemens du Midi.