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de fréquentes battues. Cette vie misérable allumait dans les cœurs d’ardens désirs de représailles. La plupart des fugitifs, de condition modeste, étaient honnêtes et courageux ; celui qui devait s’appeler plus tard le poète Jean Reboul se trouvait parmi eux, et plus d’un lui ressemblait par la noblesse des sentimens. Mais il y avait aussi dans leurs rangs des artisans sans éducation, aux instincts grossiers, aux passions violentes, ce Jacques Dupont dit Trestaillons, simple travailleur de terre, dont ces tristes jours allaient faire un grand criminel, et avec lui ceux qui se préparaient à devenir ses compagnons et ses émules, forcenés animés « de l’esprit de brigandage et de révolte, » disait plus tard un des fonctionnaires chargés de les poursuivre, pour qui le royalisme fut un prétexte, le désordre un but, qui devaient attacher au Midi une sinistre renommée et compromettre tout le parti royaliste en disant : « Il nous faut un roi terrible à qui soient inconnus les mots de bonté, de clémence et de pardon. Faisons-nous justice, puisqu’on ne nous la fait pas. Servons le roi malgré lui[1]. » C’est pendant les Cent jours que toutes ces haines prirent feu. On ne saurait trop le répéter, non certes, pour faciliter une justification impossible, mais pour fournir à l’histoire une explication qu’elle réclame, — explication appuyée sur des documens authentiques et qui s’impose aujourd’hui aux adversaires comme aux amis de la restauration, avec la puissance de la vérité. Ce qui n’est pas moins vrai d’ailleurs, c’est que vengeances et représailles dépassèrent de beaucoup les persécutions qui les avaient déchaînées. N’est-ce pas un des traits ordinaires de la guerre civile dans tous les pays et à toutes les époques ?

On a vu qu’une partie des déserteurs et des volontaires vivaient dispersés aux bords de la mer. Moins malheureux que la plupart de leurs compagnons, ils étaient parvenus à former une agglomération suffisante pour tenir en respect les bandes de fédérés et les détachemens de la petite garnison d’Aigues-Mortes, qui battaient la campagne afin d’arrêter les réfractaires. Les uns avaient trouvé un abri dans les cabanes des pêcheurs. Les autres campaient à la belle étoile, et, comme on était au printemps, ils supportaient sans trop de peine les intempéries de l’air. L’espérance d’un avenir meilleur que le présent rendait leurs maux légers. La nuit, des barques venues d’Espagne amenaient sur la plage des émissaires mystérieux qui leur apportaient, avec quelques secours, les instructions du duc d’Angoulême réfugié à Barcelone et leur annonçaient la chute prochaine du régime impérial[2]. De Cadix, le prince s’était fait

  1. Archives nationales.
  2. Nous devons ces curieux détails à un ancien volontaire royal, encore vivant aujourd’hui, M. C…, de Fontvieille (Bouches-du-Rhône). C’est également de lui que nous tenons le texte de la romance suivante, que les miquelets chantaient en chœur, chaque matin, sur l’air de Richard, après avoir fait la prière en commun :
    Loin de la belle France,
    Un roi puissant languit ;
    Son serviteur gémit
    De sa cruelle absence !
    Si d’Angoulême était ici,
    Mon cœur n’aurait plus de souci !
    O France, ô ma patrie,
    Que devient ton honneur,
    Quand on te sacrifie
    Au Corse usurpateur !
    Pour une cause impie,
    On veut armer nos bras,
    Préférons le trépas
    A cette ignominie.
    — Louis, tu veux notre foi !
    Crions toujours : « Vive le roi ! »
    Dans ces momens de crise,
    Quoi que soit notre sort,
    Voici notre devise :
    « Les Bourbons ou la mort ! »