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symboliques, elles répandent beaucoup de lumière sur les croyances primitives du christianisme et seront un élément important dans la querelle des diverses églises. Pour moi, ce qui me frappe surtout dans ces peintures, et principalement dans les plus anciennes, c’est la facilité parfaite avec laquelle l’art antique y est imité. Les chrétiens n’avaient alors aucune répugnance à s’en servir ; ils employaient sans scrupule les symboles et les images du paganisme qui leur semblaient exprimer leurs croyances. Ils représentaient leur divin maître sous les traits d’Orphée, et la belle figure du chantre de Thrace, attirant à lui les bêtes et les rochers, leur semblait convenir à celui dont la parole a conquis les nations les plus sauvages du monde. Je ne vois rien là de ce fanatisme sombre dont on accusait alors les chrétiens. C’était peut-être le défaut de quelques sectaires, comme Tertullien, mais le grand nombre ne partageait pas ces rigueurs. Ils ne renonçaient pas, en devenant chrétiens, à comprendre et à admirer les beaux ouvrages des sculpteurs ou des peintres de la Grèce ; ils ne se croyaient pas tenus à les condamner et à les proscrire, puisqu’au contraire ils essayaient de les approprier à leur culte. S’il est vrai de dire que la renaissance ait eu surtout pour principe de revêtir les idées nouvelles dos formes de l’art antique, la renaissance a commencé aux catacombes.

Voilà la moisson de faits inconnus, de suppositions fécondes, d’aperçus nouveaux dont M. de Rossi a enrichi la science. Au moment de dire un dernier adieu à ce cimetière de Calliste dans lequel il a si longtemps vécu et où il a fait de si belles découvertes, il a grand’peine à contenir son émotion ; il lui est impossible de prendre congé, sans un déchirement de cœur, de ce grand travail qui lui a demandé trente-cinq années, les meilleures de sa vie, et lui a donné la plus noble jouissance qu’un savant puisse connaître, celle de découvrir ou d’entrevoir la vérité ; mais il s’arrête vite : non è dell’ indole di si grave et si seria opera il poeteggiare, nous dit-il. D’autres travaux l’appellent ; de grands cimetières, aussi curieux peut-être que celui de Calliste, restent à étudier, et il nous annonce que, sans perdre un moment, il va commencer des explorations nouvelles. Tous les amis de la science l’accompagneront de leurs vœux et souhaiteront aux recherches qu’il entreprend la même fortune qu’à celles qu’il vient d’achever.


GASTON BOISSIER.