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ne dépendrait que de soi. Et c’est bien ainsi que l’entend même le vulgaire ; quand nous voulons affirmer notre droit, nous disons : « Je ne dépends que de moi-même. » Droit, indépendance, liberté, sont donc des traductions diverses d’une même conception, et comme cette conception existe, plus ou moins vague, dans toutes les consciences, il faut reconnaître qu’elle a une valeur au moins comme suprême objet de la pensée humaine.

Ceci posé, que reste-t-il à savoir ? — Il faut examiner si la liberté, si le droit est condamné à n’être qu’un idéal stérile perdu dans les espaces imaginaires, aussi inactif et impuissant sur le monde que les dieux d’Epicure, ou s’il est susceptible d’une réalisation plus ou moins complète. Le problème que nous avons maintenant à résoudre consiste donc à trouver un trait d’union effectif entre l’idéalisme et le naturalisme, si bien que l’idéal puisse descendre dans la nature même, la transformer à son image et l’élever jusqu’à lui.


III

Le trait d’union entre le naturalisme et l’idéalisme, le moyen par lequel se réalise l’idéal, c’est, selon nous, l’évolution, qui, étant ici consciente et se proposant à elle-même un but, peut s’appeler progrès. Seulement nous nous représentons d’une façon particulière cette évolution. Selon nous, le moteur trop peu remarqué qui l’accomplit est l’influence exercée par l’idée même sur sa propre réalisation. Nous ne prenons pas ici l’idée au sens métaphysique de Hegel : nous n’entendons pas par là je ne sais quelle entité insaisissable à l’expérience ; nous voulons parler des idées mêmes que conçoit notre intelligence et qui sont nos propres pensées. Toute idée conçue par nous a une action sur nous et tend à se réaliser par cela même qu’elle est conçue : voilà notre principe. Au fond, penser une chose, c’est déjà la commencer : on ne peut avoir par exemple l’idée d’un mouvement sans produire dans le cerveau ce mouvement même, l’idée d’une mélodie sans la chanter intérieurement. En outre parmi les idées, il y en a de supérieures à toutes les autres, qui expriment des idéaux : telle est la liberté, tel est le droit. Ces idées sont des types d’action qui indiquent la plus haute direction que puisse prendre la nature humaine, l’achèvement et la perfection de notre nature ; ce sont donc des idées directrices, moteurs intellectuels et centres efficaces d’attraction.

S’il en est ainsi, nous devons appliquer à la théorie du droit une doctrine philosophique que nous avons longuement exposée ailleurs[1] et en mettre à l’épreuve la fécondité dans l’ordre social.

  1. La Liberté et le déterminisme, 2e partie.