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à l’amour. Nous l’avons vu, les partisans de la liberté d’indifférence qui agit sans motifs, ou (ce qui revient au même) du libre arbitre vulgaire qui agit contrairement aux motifs, ne peuvent fonder là-dessus une théorie du droit capable de satisfaire les esprits scientifiques : ce libre arbitre indéterminé ne saurait constituer le plus haut idéal de la volonté et conséquemment la plus haute valeur de l’homme, principe de son droit. D’un autre côté, le matérialisme et le fatalisme absolus, en supprimant toute action de l’individu et en expliquant tout par le dehors sans qu’il reste aucune part au dedans, suppriment finalement l’activité même et ne laissent plus à l’individu de valeur propre. Il faut donc se faire de la liberté idéale une notion qui l’élève à la fois au-dessus de la fatalité et de l’indifférence. D’une part, selon nous, cette liberté ne consisterait pas à vouloir également une chose ou son contraire, à introduire dans le monde et dans l’histoire, avec cette possibilité ambiguë des contraires (qu’admet par exemple M. Renouvier), un inexplicable hasard. D’autre part, elle exclurait la complète passivité de chaque être telle que l’admettent les fatalistes, car elle suppose chez l’être une action propre, une tendance essentielle qui le constitué, une force spontanée qui fait sa valeur. Comment donc faut-il se représenter cette force ? Est-il nécessaire de la concevoir comme une sorte de miracle dans la nature ou plutôt en dehors de la nature ? Ne peut-on s’en faire un idéal qui ne soit pas en contradiction avec le déterminisme de la nature même ? — Sans entrer ici dans des considérations trop abstraites que ne comporterait pas cette étude, disons seulement que le sens du mot de liberté a été considérablement détourné par les métaphysiciens et les théologiens de son antique étymologie : liberté veut dire indépendance. Or les scolastiques et les psychologues modernes ont fini par restreindre la liberté au libre arbitre proprement dit, au pouvoir de réaliser les contraires, qui, en le supposant tel qu’ils l’imaginent, ne serait toujours qu’une forme particulière et, comme disait Descartes, le plus bas degré de la liberté. Mais le libre arbitre, apparent ou réel, n’a de valeur qu’autant qu’il peut être pour nous un moyen d’augmenter notre indépendance, et c’est toujours en définitive l’indépendance même qui constitue à nos yeux la vraie liberté comme le vrai droit. Dans son sens négatif, le mot de liberté exprime l’absence de toute contrainte étrangère à l’être même ; dans son sens positif, il exprime la présence d’une force agissant par soi, l’activité spontanée et consciente, la volonté : la liberté doit donc se définir la volonté indépendante ou qui ne dépend que de soi.

Reste à savoir en quoi consiste cette indépendance. — Entendu à la façon vulgaire, le libre arbitre serait indépendant des motifs qui