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L’ALSACE-LORRAINE.

fonctionnaires ne tardèrent pas à renoncer à la tâche ingrate qu’ils avaient d’abord acceptée et demandèrent à retourner vers les anciennes résidences d’où on les avait tirés. Les sommités du haut fonctionnarisme prussien n’ont ainsi fait que passer, pour ainsi dire, par l’Alsace-Lorraine sans y prendre pied. Nous citerons entre autres MM. de Bismarck-Bohlen, Henckel de Donnersmark, Eulenburg, Arnim, Puttkammer, von der Heydt, etc., tous hommes réputés outre-Rhin pour leurs capacités administratives, rendues spontanément stériles, par l’ingratitude du sol alsacien-lorrain. Le fait est aujourd’hui si connu en Allemagne qu’on a mis, l’an dernier, cinq mois à trouver un successeur au sixième préfet que la Lorraine a usé en moins de six ans.

Ces mutations ont été encore plus fréquentes dans les sphères subalternes, et le réseau administratif rappelait de plus en plus la toile de Pénélope. Il n’y avait à cela d’autre remède que de ne plus accepter les démissions, qui continuaient à se succéder. Maints fonctionnaires se trouvent ainsi retenus malgré eux dans cette Alsace où ils n’avaient été envoyés que par choix et par faveur spéciale. Pour se consoler de leurs illusions perdues, ils se sont enfoncés dans la paperasserie et le formalisme bureaucratique. La population, qui toujours davantage sentait l’administration partout, n’en éprouvait nulle part les bienfaits. C’était bien cette « maladresse » dont M. de Bismarck avait parlé, mais sans le correctif de « bonhomie. » D’autre part, nul coup d’audace qui fût de nature à concilier des sympathies aux gouvernans. Il n’est pas jusqu’au règlement des indemnités pour dommages éprouvés par la guerre et le bombardement des villes, qui n’ait perdu, à force de se faire attendre, le caractère d’une libéralité volontaire pour prendre celui d’une dette payée tardivement et de mauvaise grâce. L’administration, entravée et parfois vaincue par les obstacles qu’elle rencontrait dans son propre sein, se privait ainsi du bénéfice des mesures les plus conciliantes et les plus politiques, tandis que les administrés n’avaient aucune raison pour abandonner, devant tant d’impuissante gaucherie, l’attitude passive qu’ils avaient prise dès les premiers jours. Ils se résignaient donc à regarder faire. Or, on fit si bien qu’au bout de quatre ans le budget d’Alsace-Lorraine s’est trouvé en déficit d’une dizaine de millions, résultat financier bien inattendu dans cette province, qui rapportait annuellement 65 millions à la France et ne lui en coûtait que 20, et qui avait été cédée à l’Allemagne affranchie de toute part contributive dans la dette publique française.

C’est que la nouvelle organisation donnée à l’Alsace-Lorraine, désormais constituée en pays d’Empire, coûtait énormément cher. L’Empire, la chancellerie impériale, la présidence supérieure de la