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L’ALSACE-LORRAINE.

encombré par une production exubérante, et dont les conditions différaient singulièrement, à tous égards, de celles du marché français. Le rapport que le docteur Reuleaux, commissaire-général allemand à l’exposition de Philadelphie, a eu le singulier courage d’écrire, et que tout le monde a lu, en a assez appris sur les tendances et les habitudes de l’industrie allemande, sur ses mœurs commerciales, sur sa production excessive d’articles à bas prix, aussi médiocres de qualité que de goût ; il a suffisamment signalé les embarras croissans que fait éprouver à cette industrie la perte successive de ses anciens débouchés, notamment en Russie et en Amérique, pour faire concevoir les difficultés que le producteur alsacien a eu à vaincre, et les répugnances qu’il lui a fallu surmonter avant d’engager contre de tels concurrens une lutte au rabais, qui ne lui ouvrait pour toute perspective que l’amère consolation, s’il lui fallait succomber, de ne pas du moins succomber tout seul.

À cela s’ajoutait l’état encore tout rudimentaire d’une législation économique, industrielle et financière qui, par de perpétuelles modifications de tarifs, des hésitations, des contradictions sans nombre et des entraves de toute sorte, tend à priver les transactions de leurs sécurités les plus indispensables. C’étaient, d’une part, des acheteurs en gros qui persistent à ne voir dans la marchandise qu’une chose qu’on marchande, et auxquels tous les prétextes sont bons pour se soustraire le plus possible à leurs propres engagemens ; c’étaient, d’autre part, des concurrens d’ordinaire si peu scrupuleux que la législation allemande a jugé nécessaire de restreindre la liberté des commis-voyageurs en soumettant leurs cartes d’échantillons à l’estampille de la police ; c’était enfin un système monétaire qui, par suite de sa nature intrinsèque et des incessantes fluctuations du change, n’a de décimal que le nom, et une absence presque complète de circulation fiduciaire, de telle sorte que le producteur, incertain de la rentrée de son fonds de roulement, qui reste pendant des mois paralysé et exposé à mille chances, se trouve placé dans l’impossibilité d’établir un prix de revient sincère.

L’industrie alsacienne n’a pas toutefois perdu courage et a su donner, en si fâcheuse occurrence, une preuve nouvelle de son étonnante élasticité. S’appuyant sur des capitaux qui manquent presque toujours à ses concurrens allemands, elle a dicté sa loi, imposé ses conditions, rebuté les mauvais payeurs, fait une guerre sans trêve au manque de bonne foi, obtenu, par l’intermédiaire de ses chambres de commerce, la protection des marques de fabrique, lesquelles n’avaient été jusque-là en Allemagne qu’un prétexte à contrefaçon, — fait des efforts, encore vains, pour obtenir une protection égale pour les inventions et les dessins industriels, inondé enfin le marché allemand, par la création de dépôts dans les principaux